08 septembre 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (15)

En fait de réconfort, une surprise de taille nous attendait à notre descente du train en gare de Bourges.
A peine étions nous descendus que nous entendions, derrière nous, une voix nous interpeller.

Il s’agissait de ma tante Antoinette, qui revenait d’accompagner mon frère Sébastien à Besançon chez mon Oncle Manuel.

Sébastien, déjà en France avec mon cousin Christian, devait passer son bac avec une option Arabe, possibilité qu’offrait l’académie de Besançon.

Antoinette, était monté dans notre train en gare de Lyon Perrache. Nous étions tous émerveillées de cette coïncidence qui nous avait fait voyager ensemble sans jamais nous croiser dans le même train.

En femme énergique qu’elle était elle nous fit sortir de la gare pour héler un taxi et lui lancer :

- 2 Rue du Chambir

Je mesure rétrospectivement les difficultés d’oreille et de prononciation que nous allions éprouver, francophones non natifs que nous étions, pour communiquer.

En arrivant à la cité du Beugnon, je constatais effectivement en voyant la plaque de la rue, qu’il s’agissait de la rue du Champ Dur et non de la rue du Chambir.

C’est la première fois que j’allais habiter dans une tour HLM, dans une ville, loin de la nature telle que nous la connaissions autour de la maison d’Aïn-El-Arba.

L’entrée de l’immeuble était impressionnante de propreté et de neuf, avec sa rangée de boites aux lettres sur la gauche, et surtout l’ascenseur et les locaux des vide-ordures à chaque palier ouverts sur l’extérieur.

L’appartement bien orienté avec des ouvertures à l’est et à l’ouest comportait une vaste couloir, une cuisine et 3 chambres dont l’une était en fait le salon ouvert sur la salle à manger.

Très vite la vie s’était organisé pour gérer le quotidien de pas moins de 14 personnes auxquelles devaient s’ajouter Tcha Tche Denise et Mathilde dans le courant du mois de juin, puis Régine Melchior et leurs enfants Antoine, Alain, Lucien, Eric en juillet.

A ces occupants en titre il fallait également ajouter les visiteurs occasionnels :
- Roger le mari de ma cousine Marie-josé qui travaillait dans une banque de la région parisienne.
- Les cousins qui avaient déjà un travail et résidaient dans un foyer de jeunes travailleurs rue Joyeuse à Bourges. Eugène le frère aîné de Christian et Auguste le cousin du père de ma tante Régine mariée à Melchior le frère de mon père, celui qui était resté à Aïn-El-Arba pour essayer de maintenir l’entreprise paternelle et la maison en état de marche.

La référence aux occupants occasionnels m’amène tout naturellement à relater deux anecdotes les concernant.

Ces anecdotes, qui se sont bien terminées montrent notamment quelle était l’appréhension des autorités de l’époque pour ces pieds noirs tous soupçonnés de sympathie pour l’OAS et considérés comme autant d’agitateurs à sa solde

Mon frère Sébastien, mes cousins Christian et Eugène, notre cousin Auguste étaient les premiers pieds noirs arrivés à Bourges.
A ce titre, comme le prévoyait les mesures destinées à étudier de futurs dossiers d’indemnisation ils s’étaient fait enregistrer à la Préfecture du Cher.

Le hasard avait voulu que quelques jours après, des graffitis OAS VAINCRA ! avaient couverts des murs de la ville.

Ils avaient été convoqués au commissariat de la ville et Sébastien nous racontait inlassablement, toujours avec autant de succès devant le public que nous formions, comment le commissaire après avoir établi les liens de parenté entre chacun, avait hésité pour situer Auguste dans cette parentèle.

Prenant Sébastien comme centre du groupe il avait tracé un organigramme au tableau en énonçant, lui, sa tante le père de sa tante le cousin du père de sa tante, et s’exclamait fier de sa démonstration :

- je vois ! je vois !

Cette histoire réjouissais nos soirées au 2 rue du Champ Dur et Auguste est désormais resté dans la famille comme le cousin du père de notre tante Régine.

L’autre histoire concerne Roger le mari de ma cousine Marie-Josée, qui comme je l’ai dit travaillait dans une banque à Livry Gargan dans la région parisienne.

Cette agence fut un jour cambriolée et Roger tenu en joue quelques temps par les gangsters avaient eu le temps d’observer les armes qu’ils possédaient et s’en étaient ouvert aux policiers lors de l’interrogatoire.

Mal lui en prit, car loin d’être satisfaits des précieux renseignements qu’il leur apportait, les agents commencèrent à l’interroger sur l’origine de sa connaissance aussi fine des armes de poing.

Renseignements pris, sur ses périodes militaires et son parcours professionnel, il fut mis hors de cause après avoir passé quelques heures en compagnie des policiers suspicieux.

Ce qui reste toutefois de ces quelques semaines passées au Beugnon, c’est la fantastique phénomène d’acculturation que nous autres pieds noirs nous avons connue de façon très brutale.
J’ai l’habitude de considérer que ce furent les semaines les plus longues et les plus passionnantes de mon existence, tant les choses nouvelles et les découvertes se succédaient à un rythme quasi quotidien.

La ville de Bourges elle même constituait la première curiosité notamment la cathédrale et les rues avoisinantes.

J’étais fasciné par ce livre d’histoire vivant qui me ramenait à ce que nos instituteurs nous avaient appris de la France, notamment à l’aide de ces planches dessinées représentant des scènes telles le village gaulois, ou la France romane.

Certes nos ancêtres n’étaient pas Gaulois, et n’avaient pas participé à la saga des bâtisseurs de cathédrale, mais il n’empêche que nous étions là maintenant chez nous dans cette ville de Bourges en tout point identique à ces images patiemment présentées par nos enseignants.

Mon frère et mes cousins, passions beaucoup de temps à nous promener autour de la cathédrale et au jardin de l’archevêché dans lequel un kiosque à musique nous rappelait celui que nous avions abandonné à Aïn-El-Arba.

Etait ce du à la période des vacances d’été, à la foule de touristes, notamment anglais, qui sillonnaient la ville, nous retrouvions quelque part une ambiance proche de celle dans laquelle nous vivions.

Les concerts du soir dans le kiosque, une foule bon enfant, les marchands de glace, des symboles connus de nous, confirmaient cette impression.

Notre découverte de la ville avait été facilitée par la bonté d’une famille berruyère, celle du colonel D, qui avait mis à notre disposition sa maison de la rue Louis Pauliat que sa famille n’occupait pas pendant les vacances scolaires.

C’était tous les soirs à qui se battait le mieux pour obtenir d’aller coucher rue Louis Pauliat sachant qu’il y aurait à la clef une promenade dans la vieille ville et le spectacle sans cesse renouvelé des chalands.

Nous étions maintenant regroupés rue du champ dur, et les perspectives de vie de la famille à Bourges s’organisaient.

Cela constituait la deuxième curiosité, la collectivité que nous formions par la force des choses, une collectivité où tout était débattu, et où même les enfants étaient aussi au courant des projets et des difficultés qui les sous tendaient.

La recherche de logements pour chacune des familles s’avérait quelque chose de plus difficile, car hormis les ressources limitées de la vieille ville, il fallut attendre la disponibilité du quartier Nord de la ville « la chancellerie » qui se construisait pour accueillir tous les exodes, internes et externes.

Malgré les difficultés, la situation économique de l’époque facilita grandement notre intégration, mais j’y reviendrais par la suite.

Les retrouvailles de la famille, et le fait de savoir aucun d’entres nous n’avait subi de dommages autres que matériels du fait « des événements » étaient une source de satisfaction et de joie intense, certainement comparable à celles qu’avaient connues Beatriz Rosa et Damiana lorsqu’elles avaient réussi à réunir leur famille quelque 40 ans plus tôt d’Espagne en Algérie.

Cette réunion de quelques semaine fut l’occasion de construire l’histoire de la famille, chacun évoquant les souvenirs récents de sa traversée, mais aussi par comparaison avec ce que nous vivions en France les éléments marquants de sa vie en Algérie.
Le petit appartement de la cité du Beugnon succédait à la maison d’Aïn-El-Arba comme lieu exutoire de nos angoisses et de nos espoirs.

Tata Lucia nous racontait sa traversée de la Méditerranée et l’arrivée mouvementée à Port Vendres, après une nuit fort agitée en plein cœur du golfe du lion, alors que le bateau était sensé accoster à Marseille,

Ces exclamations fortes :

- De Gaulle nos va a matar ! (De Gaulle va nous tuer !)

Résonnent encore à mes oreilles.

Maman, Mathilde et Tcha Tche partis plus tard que nous, avaient été évacués en avion par l’aéroport de la Senia à Oran.

Les scènes de ce départ, moins paisibles que celles que j’ai racontées, restent marquées par la colère de la foule vandalisant les installations dans un dernier geste de désespoir et d’impuissance.

Tata Régine et Tonton Melchorico le frère de mon père racontaient le repas municipal auquel ils avaient été conviés pour célébrer la victoire du OUI aux élections du 3 juillet 1962.

Seuls français parmi l’assistance ils assistèrent jusqu’au bout à ce repas sous surveillance militaire peu rassurés en pensant au fait qu’ils devaient à leur tour quitter le village sans bénéficier des facilités dont nous avions bénéficié en juin.

Toutes ces histoires partagées contribuèrent à cimenter notre sentiment identitaire et à nous donner la force d’exister dans cette nouvelle société qui nous accueillait et sur laquelle nous devions maintenant compter.

02 septembre 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (14)

Pendant longtemps, j’avais qualifié cet épisode « la grotte de la vierge et les fusils du jardin ». Dans mes souvenirs, deux moments très différents se superposaient à tort.

Il y avait d’une part cet après midi au cours duquel mon père m’avait emmené avec lui pour procéder à la visite finale de travaux qu’il avait réalisés dans la cour du presbytère pour le compte de la paroisse.

Dans le coin de cette cour qui abritait le patronage tous les jeudis après midi, il avait à la demande du curé du village réalisé une "vierge dans la grotte" qui servirait de point final aux processions du mois de Marie et du quinze août.

Maçon réputé pour sa capacité à travailler le ciment, mon père s’était fait une spécialité du faux bois en béton dont nombre de maisons d’Aïn-El-Arba étaient décorées, mais aussi de la réalisation de grottes aux rochers colorés imitant parfaitement les replis torturés de l’anfractuosité naturelle qui servit de décor à l’apparition de la vierge de Lourdes.

Nous étions donc, au cours de cet après midi, dans la cour déserte du presbytère mon père et moi accompagnés de Romain, une sorte de factotum de la paroisse en train de contempler les œuvres paternelles et à gloser sur la qualité symbolique et représentative de cette grotte plus vraie que nature.

J’écoutais avidement les dialogues des grands, m’imprégnant de tout ce qui se disait, goûtant avec autant d’avidité le plaisir d’avoir été admis dans cette cour à laquelle nous n’avions accès que le jeudi après midi.

Un peu à l’écart des deux adultes que j’accompagnais, je revoyais nos jeux des derniers jeudis, jeu du foulard, balle au prisonnier, délivrance, et autres saynètes auxquels l’imagination débordante des jeunes gens qui nous surveillaient nous soumettait.

Mais déjà, même dans cette collectivité rurale que nous formions, la télévision avait fait son apparition, et nous étions quelques uns à chercher pendant ces après midis encadrés, des raisons d’y échapper pour en fait nous réfugier chez Fernande, la gouvernante du curé et la sœur de Romain pour regarder Mire et Disques.

Et le vendredi matin, dans la cour de l’école, nous étions quelques uns à snober les autres leur disant :

- tu n’as pas vu Mire et Disques ?

Cette grotte à la vierge dans la cour du presbytère s’était transportée, dans mes souvenirs, au fond de notre jardin, contre le mur de pierre jointoyées recouvert d’une vigne qui séparait notre maison de celle de Pascual Belda.

Je m’interroge encore sur la raison de cette confusion entre deux souvenirs distincts, bien identifiés dans le temps et dans les événements qu’ils concernent.

Une première raison tient sans doute au décor, les vieilles pierres du mur rappelant de façon étrange le décor en ciment coloré imaginé par mon père pour la grotte du presbytère.

J’avoue que l’idée d’une grotte à la vierge dans le fond de notre jardin m’a toujours paru une éventualité plausible dans cette partie éloignée du jardin propice au recueillement.

Une deuxième raison tient peut être au fait que mon père était accompagné de Romain dans un cas et de mon Oncle Joseph dans l’autre.

La confusion entre les deux personnages peut s’expliquer par une analogie formelle, leurs habitudes de grands fumeurs, et aussi leur propension à tout conceptualiser pour proposer des théories opérationnelles sur la plupart des événements les plus anodins soient ils.

Toujours est il que j’assistais peu avant notre départ aux efforts de mon père et de mon oncle, dans le jardin, sans grotte à la vierge, pour dégager le regard de la fosse septique enfoui sous quelques centimètres de terre, et y enterrer des fusils dont ma mère m’apprenait quelques années plus tard qu’ils étaient les fusils du curé.

Le Curé était un personnage central du village. La majorité des habitants, d’origine espagnole, venus d’une immigration antérieure à celle de 1936 étaient tous catholiques pratiquants. La vie culturelle du village s’organisait autour de l’église et de la paroisse.

La paroisse publiait et diffusait un bulletin qui relatait les événements principaux de la vie de la collectivité, annonçait les fêtes et les manifestations religieuses, relayait les prêches du Curé. Ce bulletin avait été baptisé Epis et Grappes pour signifier la forte dimension rurale et agricole de notre collectivité. Ces symboles de l’épi et de la grappe faisaient référence aux évangiles qui présentent les épis et les grappes comme les dons de la nature et du créateur. Autre signification de ce symbole, l’unité et la solidarité, , chaque grain de blé et chaque grain de raisin ne pouvant exister sans les autres au sein de l'épi ou de la grappe.
Le curé J diffusait autour de lui cette culture de l’unité de la solidarité de l’entraide, et la faisait vivre par sa présence et par la façon dont il concevait son ministère.
Les fêtes religieuses donnaient toujours lieu à des manifestations visibles, processions, cérémonies chantées, lectures et réflexion commune des évangiles mais aussi d’œuvre choisies pour leur caractère édifiant.
Nous étions assez sensible à ces fêtes et y participions de façon active. La procession des rameaux étaient l’occasion de fabriquer des palmes qui supportaient toutes sortes de décorations et de cadeaux. C’était à qui aurait la plus grande et la plus chargée. Ma jeune cousine Ilda Rose, elle devait avoir 4 ans cette année là, nous avait accompagné à la procession des rameaux, en chantant au clair de la lune et en mangeant les œufs en sucre et en chocolat qui décoraient nos palmes et la sienne.
Ce jour là, le Curé avait évoqué dans son sermon, la vocation de mon frère Damien qui était au petit séminaire d’Oran, et la nécessité pour la collectivité de se mobiliser pour soutenir et favoriser l’accession d’un jeune du village au sacerdoce.

La paroisse gérait également un cinéma, le seul cinéma du village, dont les programmes étaient soigneusement sélectionnés et visionnés avant leur diffusion.
L’opérateur de la salle était Auguste communément appelé Sordo à cause de sa surdité. Il était le cousin du père de notre tante Régine. Il s’occupait également de la voirie et notamment de la gestion de l’eau dans la commune. Grâce à lui nous étions au courant de la programmation de la salle de cinéma.
La censure du curé présentait quelquefois des défaillances, ou suscitait des mouvements d’humeur dans la salle.
Lors de la projection du film le Chevalier d’Eon nous avons tous vus avec stupeur un sein fugitif qui semblait avoir échappé à la vigilance de notre prêtre.
A l’inverse un autre film italien, Donatella qui raconte l’histoire d’une jeune fille à la vie amoureuse tourmentée, avait subi de nombreuses coupures qui avait provoqué des réactions houleuses dans le parterre.
J’avais reconnu dans les manifestations la voix de mon frère Sébastien qui avait à plusieurs reprises crié :

- Da le tela !

Une locution difficilement traduisible qui joue sur l’analogie phonique avec le titre Donatella et qui signifie en gros donne lui une raclée.

Pourquoi précisément, sous les boiseries de la gare de Lyon Perrache penser à ces événements qui avaient précédé notre départ pour Oran ?

Peut être, pour compenser l’impression que dégageait ce bâtiment inhospitalier et austère, et la déception que procurait un endroit bruyant et sale sans lumière, qui contrastait avec l’idée que nous nous faisions d’une gare française.

Très vite pourtant nous dépassions nos déconvenues, je crois qu’elles étaient partagées, pour nous fixer sur notre but final, Bourges.

Il nous fallait dans un temps limité, trouver à nous restaurer, identifier le train que nous devions prendre et transporter notre groupe vers la maison que nous imaginions accueillante de ma tante Antoinette.

Assis sur des bancs de bois, sous les immenses boiseries brunes qui rajoutaient au côté sombre du lieu, nous déjeunions de hot dogs et de vache qui rit, nourriture que nous avions trouvée auprès d’un marchand ambulant.

Un jeune garçon et son père étaient venus s’installer près de nous, et semblaient étonnés de l’apparence de notre groupe et surtout de notre accent.

L’homme se cachait derrière un journal, jetant des coups d’œil à la dérobée, une Gitane maïs au bout des lèvres.
Le jeune garçon, il devait avoir mon âge, m’observait de façon soutenue comme si j’étais un sujet d’étonnement.

Son père le rabrouait de son journal pour l’obliger à se concentrer sur son repas, des vaches qui rit également.

Ils en vinrent à se battre, sans succès, avec l’emballage en papier aluminium de la portion que le jeune garçon essayait de manger.
Finalement sur les conseils de son père, il décida de porter la pointe du triangle de fromage, sans la déballer, dans sa bouche, et de l’aspirer en pressant la base des ses doigts.

Le résultat ne fut pas à la hauteur de ce qui était attendu, vu la quantité de fromage sur les doigts du garçon et la colère du père qui semblait reprocher à son fils de se conduire ainsi devant nous.

Cet événement me laissait perplexe quant aux coutumes de ces vrais français avec lesquels nous allions vivre, nous qui nous vivions avec cette crainte de ne pas apparaître digne de cette France métropolitaine, comme nous disions, qui nous accueillait les bras pas complètement ouverts.

Le voyage en train reprit et la consommation de cigarettes mentholées avec.

Nous somnolions tous dans notre compartiment, transportant chacun dans nos pensées et nos rêves une part d’Algérie que nous voulions jalousement garder comme un réconfort personnel pour affronter ce qui nous attendait.

En regardant mes compagnons de voyage, je les replaçais chacun dans un contexte différent de celui du compartiment du train.

Cela les reliait à des événements à des lieux à des personnes que j’avais moi vécu et connus.

Pour la première fois dans ce train je passais en revue différents événements que je situais mentalement chacun dans un endroit de la maison ou du village pour essayer de ne pas oublier.

Cet exercice de mémoire ne m’a plus quitté dès lors, et je suis toujours étonné de la permanence de ces souvenirs, et de leur caractère récurrent.

25 juillet 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (13)

Alors que le train progressait de Marseille vers Lyon, nous traversions de vastes régions vertes et inondées, des rizières avait je appris plus tard.

J’ignorais alors qu’il y en eut en France, et je m’interrogeais sur le travail de ces gens les pieds dans l’eau courbés sur la terre, repiquant des plants de riz.

De loin, je les voyais couverts de vastes chapeaux gris, au milieu d’herbes vert menthe.
L’ensemble se découpait sur un ciel très bleu formant un contraste hallucinant avec le vert du sol.

Aux alentours de midi, nous parvenions à la gare de Lyon Perrache où nous devions changer de train pour prendre le Lyon Nantes vers Bourges.
Notre première véritable étape française, me déçut. C’était la première fois depuis le début de notre voyage que nous allions descendre dans une gare, nous déplacer sans aide aucune, demander notre chemin, trouver notre train, trouver un endroit pour nous restaurer.

Je savais, comme à son habitude, que mon père avait dans la poche revolver de son pantalon, son immense portefeuille marron, un portefeuille marocain à ce qu’il disait.

Dans ce portefeuille, mon père avait placé une quantité de billets, suffisante pour couvrir les frais du voyage, mais aussi pour nous permettre de vivre quelques temps à Bourges avant qu’il ne trouve du travail.

Cette certitude dans la planification d’un voyage rempli, par nature, d’aléas, m’avait étonné lorsque j’avais assisté au partage de cet argent entre mon père et ma mère devant le bureau.

C’est lors de cette discussion à laquelle j’avais assisté qu’il avait été convenu d’un certain nombre d’achats, les cigarettes mentholées dont j’ai déjà parlé, mais aussi de préparatifs avant le départ.

Le plus marquant de ces préparatifs, ma mère m’a confirmé par la suite lorsque je l’interrogeais, que cela s’était bien produit, avait été pour moi l’histoire des fusils dans le jardin.

24 juillet 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (12)

Le froid du matin, accentué par les vents, nous avait obligé à revêtir des vêtements plus chauds. Les voyageurs sur le pont s’étaient regroupés, comme pour mieux se protéger du froid, mais aussi, pensais je alors, pour rétablir l’équilibre du bateau qui penchait maintenant réellement d’un côté.

Les côtes de France se dessinaient dans le lointain nous faisant oublier la fureur et le froid du vent.

Enfin, nous allions être à pied d’œuvre dans le pays mythique dont nous espérions secrètement quelque chose de plus beau.

La quiétude que nous avions retrouvée au cours ces deux jours de traversée, après le bruit et la fureur de l’embarquement à Oran, s’éloignait de nous à mesure que les lignes bleues floues de la côte française se dessinait avec plus de précision.

Une foule immense nous attendait, jouant à l’envers le scénario du départ.
Dans le matin gris, j’observais une intense activité sur la port de Marseille.
Des bruits venaient jusqu’à nous de façon irrégulière, puis se faisant plus précis firent place à une clameur intense.
Elle s’élevait du quai sur lequel de minuscules silhouettes s’agitaient de façon désordonnée.

Étions nous soudain les héros tant attendus, où comme le racontait régulièrement mon père depuis lors, étions nous en but à des populations venues manifester leur désapprobation.

La légende, devenue familiale, encouragée par la geste paternelle, prétend que le Maire de Marseille, Gaston Deferre lui même, avait suggéré le slogan d’accueil :

- jetez les tous à la mer !

Mon père répétait ce slogan à l’envie, comme le symbole de notre désillusion devant l’accueil qui nous fut fait à Marseille ce 12 juin 1962.

Soutien de François Mitterrand en 1981, Gaston Deferre devenu le Ministre de l’intérieur et de la décentralisation du 1er gouvernement de gauche s’attirait toujours les quolibets paternels lorsqu’il paraissait à la télévision :

- jetez les tous à la mer !

répétait mon père moqueur, avec une sorte de sympathie ironique pour l’homme qui avait voulu le refouler.

Passé le quai, j’ai beaucoup moins de souvenirs du débarquement, nous fûmes, malgré tout, accueilli très gentiment par des bénévoles du Secours Catholique, des femmes essentiellement, qui avaient dressé dans un hall en tout point semblable à celui que nous avions laissé à Oran, des lits dans lesquels nous devions également dormir tête bêche.
Une quatrième nuit d’exode nous emporta.
Dans le demi sommeil du matin, je compris que mon père et mon oncle partaient en reconnaissance vers la gare pour identifier le quai et le train qui nous conduirait à Bourges.

Il était aux environs de 6 heures lorsque nous avons regagné un immense convoi vert sombre dans un wagon duquel nous avons trouvé le compartiment de 8 places qui nous accueillerait pour la dernière étape de notre voyage.

Nous étions désormais seuls, loin de la cohorte de nos compagnons de bateau, des immigrés ou des rapatriés que l’on n’appelait pas encore les « pieds noirs ».

L’attribution des places dans le compartiment n’avait rien laissé au hasard, mon père et mon oncle s’étant arrogées les places près de la fenêtre et des cendriers.

Je garde le souvenir précis de nos positions dans ce compartiment :

Joseph Noel Michel Marinette

José Denis Damien M Cabedo

Les deux hommes s’évertuaient à « tuer » la cartouche de cigarettes mentholées qu’ils avaient emporté pour le voyage :

- Tenemos que matarlas !

Disaient ils fréquemment.

En effet, dans l’Algérie de l’exode, les approvisionnements se faisaient difficilement et le bureau de tabac du village n’offrait plus au moment de notre départ que ces cigarettes mentholées boudées par les fumeurs.

Je me souviens parfaitement de ce détail, car j’avais été chargé d’acheter ces cigarettes, dont j’ai oublié la marque, mais dont je me rappelle parfaitement le prix de 1.02 F le paquet. Nous disions encore 102 francs.

J’allais souvent faire les courses au village avec ma mère, ou quelquefois seul.
Les commerçants du village me connaissaient bien et m’acceptaient parfois dans leurs conversations.

Ce jour là, le village était écrasé par un soleil blanc, et je m’étais arrêté ma cartouche sous le bras près d’un groupe composé de Mangana le boulanger, Victor le cafetier, Khadour le garde champêtre et quelques autres figures dont j’ai oublié les noms.

Ils m’avaient admis dans leur conversation, considérant sans doute qu’un garçon avec une cartouche de cigarettes mentholées sous le bras avait quelque part la confiance de ses parents.

Cette impression d’être avec les grands considéré comme un grand fut renforcée lorsque l’un d’entre eux me demanda :

- et vous autres, quand est ce que vous partez ?

Fier de cette question, je répondais en donnant de nombreux détails sur la stratégie familiale.
J’expliquais ma tante d’Aïn-Temouchent à Bourges, son mari décédé, les enfants à l’orphelinat de la Police, le départ avec mon oncle Joseph de Saint Denis du Sig, Tata Lucia Christian son fils et mon frère Bastien déjà sur place à Bourges.
Ils hochaient la tête m’écoutant développer mes arguments commentant mes réponses par des approbations respectueuses, s’étonnant parfois de ce choix d’une ville dont ils n’avaient jamais entendu parler.

Eux, rêvaient de Marseille, Toulouse ou d’autres villes plus méditerranéennes.

En regardant mon père et mon oncle allumer une cigarette au mégot encore brûlant de la précédente, je me rappelais ces discussions qu’avaient autorisées la cartouche de cigarettes mentholées à 1.02 F le paquet.

Tout en fumant et en déplorant le goût atrocement mentholées de leurs cigarettes, ils s’interrogeaient sur le prix et la nature du tabac qu’ils trouveraient en France.

Drôle de préoccupation pensais je, alors que nous partions vers une ville inconnue, où, hormis ma tante, nous ne savions qui ni quoi nous attendait réellement.

23 juillet 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (11)

Mais, les enfants que nous étions ne s’embarrassaient guère de nostalgies.
Quelquefois, comme sur ce bateau, elles les assaillaient et ils avaient sous les yeux le spectacle d’adultes perdus dans les tristesses qu’ils cachaient habituellement.

La découverte de ces sentiments mêlés m’inquiétait autant qu’elle me ravissait.
Je ne pouvais exprimer une joie intense, parce que j’avais du mal à identifier ce que je ressentais et l’origine de ces contradictions qui bouleversaient tous ces gens autour de moi.

Sur le pont d’un navire au milieu de la Méditerranée, je m’imprégnais de ce que faisaient et disaient ces gens réunis par la volonté du destin.

Mr Cabedo, comme assommé, était assis, son béret vissé sur la tête, le torse penché au dessus de ses genoux. Il marmonnait une prière de mots incompréhensibles mêlant du français de l’arabe et duvalencien.

Son torse agité d’un mouvement régulier, presque imperceptible, scandait cette prière, connue de lui seul, qu’il adressait à Dieu l’implorant au nom de la providence pour tous ceux qui étaient restés derrière lui, les vivants comme les morts.

Derrière lui, mon oncle Joseph et ma tante Marinette, semblaient pétrifiés.

Les yeux fixes, le regard perdu, ils s’étaient progressivement penchés l’un vers l’autre, dans une tentative de soutien mutuel, pour affronter ensemble une épreuve qu’il ne pouvaient imaginer il y a quelques semaines peut être.

La bouche de mon oncle s’était figée dans un sourire triste qui n’allait plus jamais le quitter.
Ce sourire il le prendrait désormais avant d’exprimer des choses que les mots seuls ne pouvaient être suffisant à décrire.

Ma tante, elle, s’était tassée au point de disparaître à l’ombre de son mari dont elle ne parvenait plus à capter les pensées.

Une fois de plus, mon père m’avait impressionné dans cette épreuve, tant la façon dont il la vivait, le différenciait de tous les autres.

Hormis les larmes rentrées que je lui avais vu au départ du navire, son visage exprimait une sérénité qui nous rassurait.
En nous rassemblant autour de lui mon frère et moi, ses mains sur nos épaules, il avait voulu nous transmettre différemment que par de la tristesse affichée, les sentiments forts qui l’agitaient lui aussi.

Près de notre père, nous étions à l’abri, lui d’habitude si avare de sentiments de paroles et de manifestations affectives, il avait su par ce simple geste nous transmettre un peu de sa grandeur et de sa générosité naturelle.

La nuit tombait doucement sur le bateau, bercée par le bruissement de la coque pénétrant régulièrement et inexorablement dans l’eau.

Nous ne dormions pas, fascinés par le spectacle des étoiles dans un ciel perdu en pleine mer.

Il nous fallut pourtant donner son tribut à la nuit. Nous aurions préféré continuer à courir sur le pont entre les familles, monter et descendre puis descendre et monter, inlassablement, de la cale au pont et du pont à la cale.

Organisateur né, mon père avait négocié, comme la plupart des familles, des couchettes dans des cabines occupées alternativement par les marins de quart. Bientôt, nous dûmes, à notre corps défendant, rejoindre ces lieux de repos improvisés.

Les murs métalliques aux rivets saillants, peint d’un jaune crème sale, étaient percés d’un unique hublot trop haut pour que nous puissions goûter au plaisir de la vue sur la mer.

Une chaleur étouffante traversée d’odeurs fortes de mazout, nous saisissait par bouffées régulières.
Pour éviter de subir ces odeurs nous pratiquions des moments d’apnée en essayant de respirer dans les moments d’atmosphère pure.

Deux marins couchaient alternativement dans « notre » cabine, que nous partagions également avec un couple dont le bébé avait pleuré une grande partie de la nuit.

L’un des deux marins, harassé de fatigue, avait hurlé dans un accent que je qualifiais de français :

- Y va la fermer ce môme !

Ces mots nouveaux, même si je les comprenais, avait
heurté ma sensibilité.
Le terme « môme » à la place du « gosse » que nous utilisions plus volontiers, le « y va la fermer » alors que nous disions plutôt « ferme ta bouche » l’accent froid et neutre, tout contribuait à me rendre ce marin particulièrement antipathique.
Au petit matin, sans avoir réellement dormi, nous étions remontés mon frère et moi, retrouver mon père sur le pont.

A notre place habituelle, une main négligemment posée sur bastingage, il fumait paisiblement le regard tourné dans la direction de l’Algérie.

Nous étions maintenant chez nous sur ce navire, livrés à nous mêmes, abandonnés des adultes qui savaient que la mer autour, constituait certes un danger potentiel, mais aussi la meilleure et la plus sûre des surveillances.

Notre repas du soir absorbé, nous courrions à travers les coursives, passant en nous bouchant les narines au travers de la cale pour éviter la forte odeur de vomi, pour rejoindre l’air libre du large.

Le jour, nous regardions inlassablement la mer calme d’un vert profond ne prêtant plus aucune attention aux discours des grands.

La nuit nous scrutions le noir à la recherche d’une quelconque lueur.
Notre attente fut récompensée la deuxième nuit. Notre bateau croisa un autre navire tous feux allumés.

Les lumières estompées dans le lointain soulignaient imparfaitement la masse noire qui se mouvait rapidement sur l’eau.

A quelques encablures, nous imaginions les gestes des occupants préparant leur navire à faire le chemin inverse dès son arrivée dans le port d’Oran rempli de passagers qui vivraient à leur tour la même chose que nous.

Peu de personnes se trouvaient sur le pont cette nuit là. Avec mes cousins et mon frère nous avions assistés à ce spectacle en silence nous regardant furtivement pour savoir si nous avions vu.

Le lendemain nous en parlions avec force détails aux dormeurs qui remontaient sur le pont la tête traversée de leurs rêves de la nuit.

Cette deuxième et dernière nuit marquait le début de l’ultime étape de notre voyage.

Nous étions dans le golfe du Lion, connu pour les vents violents qui y soufflent.
Le bateau avançait péniblement penchant légèrement d’un côté.

21 juillet 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (10)

C’est à cet instant précis alors que je sentais mon frère absent, comme s’il venait soudain de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvions, que je vis nous dépasser, une énorme gitane entourée d’une marmaille impressionnante vociférant et hurlant dans des costumes aux couleurs chamarrées.

La gitane elle même coiffée d’un large foulard de soie grège avançait au rythme de son ventre et de ses fesses qui donnait à l’ensemble de son corps un balancement impressionnant.

Tout en haut de cet équipage hallucinant, je compris en voyant la valise à la ménagère sur son épaule gauche, qu’elle essayait de donner le change en fuyant doucement avec notre précieux bien.

La ménagère tanguait dangereusement au dessus de nos têtes et le roulis du corps de la gitane compensait assez harmonieusement les mouvements de la valise qu’elle avait entourée d’un bras énorme pour la dissimuler et l’empêcher de tomber au sol.

La valise volait au dessus de la foule. Je m’en souviens comme d’un point fixe qui s’éloignait de nous et sur lequel je lisais sans peine, malgré mes yeux myopes et mes énormes lunettes, l’étiquette qui portait notre nom NUNEZ en capitales noires tracées méticuleusement avec le Z qui se détachait barré d’une élégante diagonale.

Je me souviens avoir couru vers elle le bras tendu en criant :
Papa ! la ménagère !
laissant sur place mon frère abasourdi et mon père toujours aux aguets qui semblait avoir compris la scène.

Abandonnant son flegme légendaire, et mu par un sentiment de justice, il avait en quelques pas lents mais précis rattrapé l’infortunée gitane qui clamait son innocence face à la colère sourde et contenue de mon père qui récupéra sans ménagements le trésor familial sous les clameurs d’approbation de la foule qui continuait à progresser vers le bateau.

La fureur des voyageurs était à son comble, et je considérais à nouveau la scène de cette multitude dans laquelle chacun cachait ses angoisses et ses peurs en se fondant dans le mouvement inexorable vers le bateau qui devait nous faire traverser la Méditerranée pour nous conduire vers la France.

Le soleil et la lumière du matin avaient pris la violence du zénith et découpaient cruellement les personnages qui nous entouraient.
Je marchais les yeux au ciel essayant vainement de voir, par delà les adultes qui m’entouraient, les quais et la passerelle que nous allions emprunter.

La gitane et sa marmaille avaient disparus, et je cherchais à les retrouver dans la foule pour m’assurer que tout cela avait réellement existé.

Enfin nous étions derrière la bastingage blanc, sur le pont du navire, entourés de la femme seule aux deux enfants, qui, malgré les événements nous suivaient toujours.

L’attente avait succédée à l’excitation du voyage, et je me rappelle qu’à ce moment précis j’étais content d’être là, oubliant un peu ma mère Tcha Tche et Mathilde restés à Aïn-El-Arba.

Les bruits avaient cessé pour moi, près de mon frère Damien toujours absent comme absorbé par le paysage devant nous.

La ville d’Oran, nous apparaissait plus blanche que jamais sous le soleil cru et le ciel bleu violet.

Un mouvement imperceptible anima le bateau et nous éloignait doucement de la rive. A côté de nous des gens pleuraient sans que nous puissions comprendre pourquoi.

Je n’osais pas véritablement pleurer parmi tous ces inconnus qui trouvèrent la force d’entonner le chant des adieux à mesure que, maintenant, le bateau s’éloignait véritablement et que nous percevions la ville au loin, et une foule immense restée à quai.

A la clameur digne et solennelle du chant du bateau répondait une clameur aussi digne et solennelle sur le quai.

Bientôt les chants de ceux du quai s’estompèrent emportés par le bruit de la mer et le glissement majestueux du Ville de Marseille qui prenait son assise sur une Méditerranée impressionnante de stabilité.

Nous étions bel et bien en route, partis, oubliés, seuls sur cette mer qui nous avait procuré tant de joie lorsque nous la côtoyions sur les plages d’Arzew ou de Turgot.

Sur cette mer, nous étions quelque part chez nous, et il me vint à penser qu'elle bordait à la fois l’Algérie et la France comme un trait d’union entre ces deux pays, celui que nous quittions et celui qui allait nous accueillir.

C’est à ce moment que je perçus les larmes rentrés de mon père et celles plus évidentes de mon frère Damien que je regardais avec admiration pour cette émotion qu’il avait du mal à contenir.

Je n’étais qu’un enfant de 9 ans et demi alors qu’à 13 ans, il était lui, déjà endurci par deux années de pension à Oran.

J’eu mal pour lui lorsque mon cousin goguenard, loin de posséder sa maturité, alors qu’ils avaient le même âge lui demanda pourquoi il pleurait.

Rapidement je rassemblais dans ma mémoire les moments, trop courts hélas qui m’avaient rapprochés de ce frère.

J’évoquais sa communion qui nous avait permis, l’année précédente, de nous retrouver tous en famille une dernière fois dans la maison.

L’après midi de ce dimanche nous avions inventé ces dernier jeux au cours desquels Damien m’avait convaincu que chez les cow-boys il y avait des shérifs et des bandits, et que le rôle de cow-boy, ou le rôle du « jeune homme » ce héros attachant des westerns, avait leur contrepartie.

Mon petit cousin Lucien, voulait lui à tout prix être un indien malgré les tentatives désespérées de ses frères pour le raisonner et l’amener à comprendre que quelque part les indiens étaient des sortes de fellaghas, et que vouloir jouer ce rôle n’était peut être pas la meilleure idée.

C’est au cours de ce même après midi que notre cousine Denise avait décidée de s’appeler Mme Renée une honorable commerçante et que Monique, elle, préférait le sobriquet de Sassafinda, une interpellation intraduisible que ma tante Lucia attribuait aux jeunes filles remuantes de la famille.

Ce que nous aimions par dessus tout lors de la préparation de ces jeux, nous les petits, c’est lorsque Damien nous racontait Oran et les clameurs des manifestations de rue que les murs épais du séminaire ne parvenait pas à contenir.

Inlassablement le roulis de la Méditerranée me ramenait vers ces moments dont je mesurais que vu du bateau ils paraissaient lointains parce qu’au fond ils avaient été brefs et trop peu nombreux.

09 juin 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-ELARBA (9)

Pour économiser les places de couchage, les enfants avaient été disposés tête bêche dans de grands lits. Nous étions mon frère Damien et moi dans le même lit que mes cousins Noël et Michel, deux couchés côte à côte à la tête du lit les deux autres les têtes au pied du lit.

Emporté dans mes rêves de bord de mer j’avais petit à petit empiété sur l’espace de mon voisin opposé et je sentais dans mon demi sommeil des coups de pied répétés qui perturbaient mon réveil harmonieux par Lucia Pegotty et le curé au cerf volant.

Heureusement mon frère Damien, rétablit la situation pour éviter qu’elle ne dégénère en un pugilat dans lequel je n’aurais pas eu forcément le dessus.

De grands bols de café noir commençait à circuler et finalement, la famille se retrouvait courbatue et hébétée par cette nuit inconfortable, autour d’un petit déjeuner bienvenu avant le départ définitif vers la France.

Dans le soleil cette fois, nous rejoignions la file des voyageurs qui s’était formée pour rejoindre le Ville de Marseille.

Par rapport à la veille dont je gardais un souvenir gris et terne, la journée s’annonçait sous un ciel particulièrement lumineux qui donnait aux choses et aux gens un relief particulier chaleureux mais agressifs.

Les personnes dans la file me semblaient immenses et inaccessibles, leur voix ressemblaient à des hurlements et un tumulte de jeeps passant en hurlant rajoutait à la confusion.

Comme la veille après midi nous avions reformé un groupe autour de mon père, rejoint par la femme seule et ses deux enfants, que nous avions pour ainsi dire adoptée.

Nous étions perdus dans cette foule mais je me sentais bine entourée de ma famille, comme protégé des autres dont le présence au fur et à mesure que nous avancions vers le quai et les bateaux était de plus en plus difficile à supporter.

Dans notre groupe, chacun avait une responsabilité, mon frère Damien transportait dans une valise la ménagère en argent que mes parents avaient reçu en cadeau de mariage, une lourde charge dans les deux sens du terme.

Je me souviens qu’il assumait cette charge avec dignité, comme détaché de la réalité, les yeux scrutant la foule, tétanisé lui aussi de tant de bruit et de fureur.

19 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-ELARBA (8)


Mathilde venait à nous, porteuse de nouvelles fraîches de Jean son futur mari, mon frère aîné, contraint de terminer son service militaire dans l’Ouarsenis à Teniet El Hadj loin de la maison.

Le premier téléphone que j’avais eu l’occasion de voir en service était celui des parents de Mathilde, dans la petite pièce toujours close qui servait de bureau, et dans laquelle ma prochaine belle-sœur me recevait souvent après l’école pour surveiller mes devoirs scolaires.

Combien de temps ai-je passé dans cette pièce, où le plus souvent seul, une fois mes exercices terminés, je rêvassais laissant mon esprit vagabonder au fil de mes idées, pour attendre l’heure du retour vers la maison.

A droite dans une commode ancienne; il y avait un tiroir rempli de farces et attrapes, faux verre à moutarde dans lequel un ressort couvert de tissu rouge sautait au nez de l’amateur invétéré qui s’aventurait à l’ouvrir, fausses dents énormes et autres accessoires que la mère de Mathilde utilisait fréquemment pour faire peur aux mauresques du voisinage.

De temps à autre, dans cette lenteur des heures de la fin d’après midi différentes personnes pouvaient ouvrir la porte et jeter un œil dans la pièce, pour pensais je alors, vérifier que j’étais toujours là et que j’effectuais bien mon travail scolaire.

Quelquefois, Mathilde venait pour tenter de joindre mon frère Jean au téléphone, et je restais près d’elle attentif et immobile, écoutant les différents bruits caractéristiques des lignes qui se connectaient, les rires étouffées ou les paroles d’impatience d’opératrices qui semblaient dépassées par les demandes multiples de connexions toutes plus difficiles à obtenir les unes que les autres.

L’exaspération était à son comble lorsque la communication enfin obtenue, l’échange devait se limiter à quelques mots le plus souvent entrecoupés d’interventions incontrôlables d’étrangers sur la ligne, dont on pouvait penser qu’ils épiaient les paroles pudiques et retenues de ceux que les circonstances éloignaient.

Mon sommeil de premier exil fut accompagné de ces souvenirs me ramenant vers celles qui étaient restées. Bercé par ces pensées nostalgiques mais heureuses je m’endormis enfin dans les hangars du port d’Oran aménagé en immenses dortoirs.

Les rêves de cette nuit furent tout aussi heureux, je restais sur cette nuit d’orage emporté par les dialogues chuchotés de Maman et Mathilde, et les approbations bruyantes de Tcha Tche.

Les murs du bureau s’effacèrent doucement dans le sommeil, laissant flotter un moment le carillon au dessus du bureau, les livres de la collection vert et or du cosy, la cheminée éteinte, et les couleurs du tapis marocain de la petite table où nous étions réunis dans cette nuit de crainte et d’espoir.

Bizarrement, ce mélange de littérature et de réalité me plongea dans les illustrations de cette édition ancienne de David Copperfield que j’avais découvert un jour dans un débarras chez ma tante Lucia.

Le bateau de Pegotty, au bord de la manche me servit un moment de refuge, et je rêvais du jeune David confronté, comme moi je l’étais, à des personnes et des choses auxquelles il n’avait pas eu le temps de se préparer.

Pegotty se transformait en Lucia à la colonie du curé, veillant à nos jeux sur la plage un œil sur le repas qu’elle avait amoureusement préparé, tandis que le curé lui même nous initiait aux subtilités du cerf volant face à la mer.

Le réveil fut moins agréable.

08 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-ELARBA (7)

Enfin, comme dans un pensionnat d’élèves turbulents, le calme vint progressivement.
Le silence de la nuit s’installa accompagné de son cortège de soupirs et de respirations de toutes sortes.

Je m’étais endormi avant les ronflements. En cet instant, près de ma famille, mais entouré de centaines d’inconnus, loin de ma mère et de ma maison, j’éprouvais les sentiments d’une solitude cruelle que j’acceptais sans vraiment la comprendre.

Mon père n’était pas homme à entendre nos doléances sentimentales, et j’éprouvais quelque honte à pleurer dans le giron de ma tante déjà fort occupée par son père son mari et ses deux enfants ; de toute façon j’ignore et je ne voulais pas le savoir comment elle aurait accueilli mes états d’âme.

Dans la maison d’Aïn-El-Arba, j’imaginais Maman seule avec Tcha Tche et Mathilde.
Tcha Tche, comme à son habitude depuis quelques mois, avait du bloquer la porte principale avec une fourche.
Cette pratique ne soulevait guère d’enthousiasme mais faisait partie des initiatives intempestives auxquelles notre grand oncle nous avait habitué.
J’avoue que nous autres enfants, nous les regardions avec un œil bienveillant, n’hésitant jamais à lui venir en aide pour leur mise en œuvre, considérant que cela faisait partie de notre éducation.

La théorie de Tcha Tche est qu’une fourche de cette taille qui tombe sur le carrelage sous la poussée d’un envahisseur mal intentionné provoque un tel raffut dans la nuit, qu’elle constitue à coup sur la meilleure des alarmes et le meilleur des repoussoirs pour l’intrus.

Un soir, alors que ce cérémonial avait pris fin, et que les bruits autour de la maison s’étaient stabilisés, puis estompés dans le noir, frottements non identifiés, passage de groupes furtifs dans le lit de l’oued, glapissements lointains de chacals, un orage violent éclata sur le village anesthésié sous le couvre feu.

Nous étions restés immobiles dans le couloir avec ma mère et mon oncle, attentifs une dernière fois, attendant le moment de prendre notre infusion du soir pour rejoindre nos chambres.

Dans cet univers de sons étouffés sous la pluie, le ronronnement régulier d’un moteur montait dans la nuit. Il se rapprochait inéluctablement de la maison devant laquelle il s’arrêta après un dernier hoquet.

Cet événement inattendu nous interrompit dans notre veille, et nous fit oublier notre infusion qui attendait sur la petite table du bureau.

Nous n’étions que trois dans la maison, mon père travaillait dans le sud, mes frères étaient au collège à Oran sauf mon frère aîné qui effectuait son service militaire à Teniet El Hadj dans l’Ouarsenis.

En file indienne, ma mère Tcha Tche et moi fermant la marche, nous nous rapprochions au plus près de la porte et attendions que le conducteur du véhicule se manifeste.

Une vois assourdie nous parvint au travers de la porte et de l’épais rideau de black out :

- c’est Mathilde !

Aussitôt ma mère se précipita pour ouvrir et refermer la porte, juste le temps nécessaire pour permettre à Mathilde de rentrer rapidement et discrètement dans la maison.

Dans cet enchaînement de mouvements brusques, la fourche était tombée sur le carrelage faisant un raffut propre à réveiller ceux qui ne l’était pas encore.
Cette bourde supplémentaire fut aussitôt mise à l’actif de notre grand oncle.

Ma mère nous invita tous à nous asseoir autour de la petite table du bureau et baissa la lampe sur le tapis marocain vert et rouge.

01 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (6)

Ces deux journées qui avaient apporté leur lot de surprises et d’événements nouveaux apparaissent maintenant comme une sorte de répétition pour nous préparer au véritable départ.

Au fond, nous vivions, je parle pour moi, des choses que seul mon père, je le comprends mieux maintenant, avait connu lui dès son plus jeune âge.
Cela explique sa façon de tout relativiser et de paraître parfaitement à l’aise en toute circonstances.

Il me plaisait alors à penser qu’à l’age de 10 ans et 40 ans après mon père je vivais, dans des conditions somme toute moins dramatiques pour moi, une exode semblable à celle qui l’avait amené en 1922 à quitter l’Espagne pour l’Algérie, il avait alors 15 ans.

De ce voyage fantastique, je garde le souvenir très fort d’un groupe hétéroclite, conduit par un homme sûr de lui, jamais découragé, toujours prêt à penser qu’il existe une solution aux difficultés et capable de la trouver.
Les événements suivants permettront de le démontrer.

Notre groupe se retrouvait maintenant seul, plus d’aronde du curé, plus de tonton François pour faire du morse dans les rues d’Oran, plus de voisine venant rapporter une clef anglaise, plus rien de tout cela, mais en perspective le port, le bateau et la bas la France.

L’arrivée au port dans la zone d’embarcation constitua notre première surprise, des centaines de personnes attendaient, toutes munies d’un billet.

En dépit de la présence de l’armée pour organiser les files d’attente et rendre possible l’embarquement, la foule d’abord bon enfant se transformait au fil des heures en une foule beaucoup moins pacifique où la solidarité ne jouait plus, chacun essayant de faire en sorte de trouver une solution pour passer à tout prix et se retrouver sur la passerelle d’un bateau en partance.

Nous étions tous autour de mon père, mon oncle Joseph toujours prompt à la critique et prêt à déclencher une joute verbale avec ses voisins immédiats, M Cabedo enchaînant ses calembours incompréhensibles un tiers de valencien, un tiers d’ espagnol un tiers de français, ne recueillait guère plus de succès, ma tante qui essayait de les faire taire, et nous les enfants les yeux grands ouverts, ébahis par ce spectacle inattendu.

Près de nous, une mère de famille et ses deux enfants s’étaient peu à peu rapprochée et tentait de lier une conversation avec mon père.
Comme moi, elle devait être impressionné par le calme et la dignité dont faisait preuve cet homme dans un foule particulièrement agité.

Son mari était mort et elle se retrouvait seule à partir.
Ses deux enfants étaient dans nos âges, et nous commencions à échanger des considérations sur nos villages d’origine respectifs, notre école, nos vacances sans penser à la perspective dans laquelle nous étions de devoir perdre tout cela.

Mon oncle Joseph, ses papiers à la main commençait à s’impatienter sérieusement et devenait de plus en plus colérique tirant nerveusement sur sa cigarette.

La foule piétinait toujours dans l’attente de la délivrance d’informations qui lui permettrait de s’orienter vers un quai et un bateau, alors que depuis le matin, et pour certains depuis plusieurs jours les candidats à l’embarcation attendaient avec une exaspération qui avait succédé au désespoir.

Ente temps, il avait été confirmé que le « Ville de Marseille » nous conduirait en France était et nous connaissions également le N° de notre embarcadère.

Vers la fin de l’après midi, nous pûmes enfin pénétrer dans le vaste hall ou l’embarquement était organisé, pour découvrir que finalement nous allions être obligés de dormir sur place avant de pouvoir monter sur notre bateau.

Des lits étaient disposés en rangées serrées comme dans un immense dortoir destiné à accueillir les milliers de voyageurs forcés qui allaient malgré eux passer leur première nuit d’exil, mais la dernière dans leur pays, la plus douce présumaient ils.

Des plaisanteries fusaient de toute part, et le summum de l’hilarité fut atteint lorsque les résidents du dortoir déjà couché s’aperçurent que personne n’avait songé à éteindre la lumière.

Vaillamment, sous les huées, les rires, et les applaudissements, un volontaire se leva pour faire le noir.

Cet homme s’était déjà illustré tout au long de la journée par ses plaisanteries et ses bons mots qui fusaient sans arrêt derrière ses lunettes et son tricot de peau blanc, il était devenu l’histrion dont la communauté avait besoin dans ces moments difficiles.

Son retour dans le noir vers sa famille fut encore pour lui l’occasion de briller dans son rôle improvisé.

Chemin faisant, il devait s’ingénier à frôler les visages et les corps allongés, provoquant des gloussements ou des cris effarouchés chez les femmes et des grognements pas toujours amicaux chez les hommes peu enclins à se prêter à ces nouvelles facéties de notre boute en train commis d’office.

30 avril 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (5)

L’appartement, quasiment vide, ma tante et mes deux cousines étant déjà parties pour la France, ajoutait au caractère désolant de tout ce que nous venions de vivre.

La salle à manger éclairée par la lumière d’un immense balcon donnant sur la ville et au loin le port, semblait ridicule avec cette table de formica vert pale aux pieds en alu, qui siégeait de façon incongrue en son milieu.

Aussitôt arrivés, nous avons déposé nos bagages ; je me souviens très bien de ma petite valise de carton bouilli beige avec des coins renforcés d’une couleur plus foncée, et de la ménagère, cadeau de mariage des mes parents que mon frère Damien devait surveiller comme la prunelle de ses yeux ; pour repartir vers le port de tourisme dans la 4CV bleu pétrole de mon oncle François.

En chemin, celui ci, pour nous faire gagner du temps, soi disant, avait choisi un itinéraire improbable par des rues connues de lui seul, et dans lesquelles nous nous heurtions inévitablement à des barrages militaires.

Sans hésiter, il choisissait une solution de contournement en nous disant qu’il maîtrisait la situation et adressait, alors qu’il tournait brutalement à droite ou à gauche avant le barrage, un message en morse à l’aide de son klaxon en répétant à voix haute son contenu supposé.

Nous avons bien vu quelques fois les militaires lever les bras au ciel en montrant la 4CV, mais la méthode s’est avérée efficace puisque nous sommes arrivés sans encombre au port.

La foule immense qui attendait a refroidi, quelques instants, notre ardeur, mais mon père, infatigable optimiste, nous dit :
- attendez là !
- je vais voir,
et comme chaque fois dans des situations identiques, il revenait souriant, alors que nous commencions à douter et à nous impatienter, en nous disant :
- ça y est j’ai les billets.

Le retour vers l’appartement fut moins chaotique, peut être parce que nous étions rassurés par la certitude de pouvoir partir vers la France, peut être aussi parce que ce voyage d’Aïn-El-Arba vers Oran puis ce périple dans Oran et cette attente au port nous avait quelque peu, déjà, endurcis.

L’appartement presque vide nous attendait, je ne sais plus très bien qui avait suivi le périple au port, je me souviens en avoir été, peut être mon frère Damien aussi, peut être mon oncle Joseph également, je ne sais plus.

Je ne dirais rien sur le dîner de ce soir là, car je me demande s’il y a eu un dîner.

Mon oncle parti prendre son service de nuit nous avait donné quelques recommandations en nous assurant qu’il serait, de bonheur, présent le lendemain.

Dans la nuit oranaise, nous peinions à trouver le sommeil, chacun concentré je le supposais, sur les événements des journées qui venaient de s’écouler et de celles qui allaient venir.

je pensais fixement à ma mère restée seule avec l’oncle et Mathilde, me demandant si j’allais la revoir un jour.
Bizarrement, alors que j’étais assez sensible, habituellement, à son absence, je parvins à ne pas pleurer.

Je considérais, dans ma jeune tête, les événements à venir dont j’ignorais tout, mais dont je sentais instinctivement, qu’ils se dérouleraient comme les précédents, sous le signe d’une providence bienveillante, dont les responsables m’apparaissaient précisément être mes parents, et mon père surtout.

Avec le temps, je maintiens ce sentiment récurrent d’une protection familiale quasi divine qui nous vient de loin, forgée par la geste de la saga familiale, marquée par de nombreux épisodes de migration, d’abandon et d’installation dans des positions et des pays nouveaux.

La nuit s’était installée et l’appartement soupirait des respirations fortes de ses occupants qui cherchaient à masquer dans un sommeil réel ou feint, des angoisses que je connaissais moi même.

Pour accompagner ces bruits intérieurs, la rue nous répliquait en émettant des bruits divers, plus inquiétant les uns que les autres, voitures hurlantes, piétinements, courses poursuites, cris, coups de feu lointains, comme pour nous rappeler à la réalité de notre situation.

Nous étions couchés depuis peu de temps, une heure peut être, lorsque…je vais relater là un fait qui reste une légende familiale mais qui est une réalité... lorsque des coups faibles retentirent à la porte d’entrée.

Je ne sais plus qui se leva pour aller ouvrir, après avoir écouté pour évaluer l’éventuel danger que représentait ce visiteur inattendu et nocturne, mais nous fûmes plusieurs, debout devant la porte ouverte, pour regarder avec stupéfaction une voisine de notre oncle François dans un déshabillé vaporeux, une énorme clef anglaise à la main demandant si François était là, car elle devait lui rendre cet outil de toute urgence…

25 avril 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (4)

Je ne me souviens plus très bien comment nous étions assis dans cette aronde familiale, ni si ma mère nous accompagnait, mais je crois me souvenir que mon père avait pris sa voiture et que nous nous suivions.

La voiture de mon père était une dauphine blanche immatriculée 284 FD 9G.

J’ai su plus tard qu’elle avait été convoyée d’Oran à Bourges par la société Serre et Pilaire pour un prix de 31.50 francs de l’époque.

Elle devait quitter le port d’Oran le 25 juin 1962 pour arriver à Bourges le 03 juillet 1962.

Nous étions donc partis les uns dans la fourgonnette du curé, les autres dans la dauphine paternelle, deux voitures isolées dans ce mois de juin de tourmente, sur la route entre Aïn-El-Arba et Oran.

Une route qui semblait interminable dans ce matin gris sans soleil.

Je revois maintenant, précisément la scène, moi et mes cousins à l’arrière de l’aronde du curé, les yeux fixés sur le compteur de vitesse.

C’était un compteur Simca qui ressemblait à un thermomètre horizontal et sur lequel la vitesse était indiquée par une sorte de liquide orange qui progressait vers la droite au fur et à mesure que la voiture accélérait.

Nous roulions à 110 120 kilomètres à l’heure, et j’étais impressionné par la stabilité du liquide orange sur ces chiffres magiques 110 120.

J’observais fixement le compteur, peut être pour ne pas avoir à parler, lorsque je le vis descendre subitement, et sentis simultanément la voiture ralentir.

M Ducotey poussa un juron en ralentissant et tous le monde regarda la voiture en panne sur le bord de la route et les deux arabes en djellaba qui nous faisaient signe de nous arrêter.

Dans une sorte de manœuvre très subtile, notre chauffeur vint doucement à hauteur des deux hommes, puis semblant les reconnaître, accéléra en tournant la tête vers eux, ce qui fit faire une légère embardée à la voiture.

Personne ne disait rien et nous regardâmes la voiture de mon père derrière nous qui avait scrupuleusement effectué la même manœuvre que l’aronde.

Avions nous échappé à une embuscade ?, j’aimais à le croire, mais personne n’en parla plus tout au long du chemin vers Oran.

Dopée par l’incident , la voiture reprit sa vitesse initiale et le compteur se cala à nouveau sur le chiffre de 110 kilomètres à l’heure.

Nous avions parcouru la moitié du chemin, environ, lorsque nous rattrapâmes un convoi escorté par deux half-tracks qui avait du se constituer le matin même dans le village, et partir un peu plus tôt que nous.

L’adjudant de gendarmerie responsable de ce convoi nous obligea cette fois à stopper, et fit remarquer vertement aux chauffeurs qu’ils avaient été inconscients de partir seul avec autant de personnes dans deux voitures sans protection.

C’est donc escortés par la gendarmerie, et à vive allure que nous sommes entrés dans Oran.

La ville n’avait plus son allure des jours de vacances, celle que je connaissais lorsque je venais en vacances chez mon parrain.
Je ne sais plus, d'ailleurs, si lui et sa femme étaient encore à Oran à ce moment.

Cette fois, nous étions accueillis par mon oncle François, policier de son état, qui attendait lui aussi son départ pour la France.

06 avril 2006

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA : LA REGLE DU JEU

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UNE HISTOIRE POUR CHAQUE N°, des grenades recousues sur l'arbre, à la grosse pêche volée, aux macaronis de Tcha Tché, à la leçon d'omelette de pomme de terres de Denise à Paulette, à l'huile de friture bue par Tcha Tché, à Mme Renée commerçante, au cinéma des arabes, aux Fellaghas dans la maison d'en face, la Toria, Dada dans la buanderie, la grotte de la Vierge et les fusils enterrés, l'épreuve des Bouilla Cramanous, etc etc......

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA : LE JEU

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA

03 avril 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (7)

C’est en 1961 je crois, que notre maison accueillait la dépouille d’un autre oncle, Raymond, emporté par la maladie, le mari d’une sœur de ma mère à laquelle nous étions très attachés.
La conduite que je devais adopter face à mes cousins touchés par un événement dont la possible survenance restait pour moi l’une des plus grandes terreurs reste le souvenir le plus frappant de cet événement.

Pour éviter de mobiliser un lit occupé par un vivant, la salle à manger des jours de fête et de liesse avait été dressée en salon funéraire, je me souviens du soleil éclatant de ce jour là.
Mon grand oncle Melchior avait été réquisitionné pour déménager les meubles afin de pouvoir installer le cercueil face à la porte de cérémonie, une double porte battante souvent condamnée qui donnait dans le couloir de l’entrée principale.

Mes plus jeunes cousines âgées de deux et trois ans semblaient toujours marquer un temps d’arrêt devant cette porte bien longtemps après l’événement, qui leur avait été présenté comme un voyage chez tata Denise pour adoucir la cruauté de la nouvelle.

La plus jeune, lorsqu’elle pénétrait dans la pièce et qu’elle y voyait une salle à manger, marquait une pause et semblait toujours chercher le lit dont elle avait conservé l’image dans son souvenir comme si cela n’avait été qu’un rêve troublant dont elle cherchait à effacer les traces.

Nous étions maintenant en France depuis huit ans, soit onze ans après la rénovation du caveau familial et l’épisode de la croix de béton aux angles brisés.
L’année où nous obtenions une photo, je ne sais par quels moyens, de notre caveau abandonné, mon oncle Melchior co-auteur de cet ouvrage nous quittait.
Sa santé fragile, mais aussi la pénibilité de son métier, avaient eu raison de lui.
Il souffrait de dysfonctionnements rénaux graves, sur l’origine desquels plusieurs médecins s’étaient penchés.
Longtemps, j’ai cru que cette maladie pourrait m’atteindre et l’annonce de sa mort avait provoqué un grand trouble chez moi comme si elle avait constitué un avertissement divin.
L’une des causes supposée de l’infection rénale de Melchior était la propension lorsqu’il était jeune à multiplier les incidents bronchitiques.
Cela avait pour conséquence selon notre médecin de famille l’ingestion de mucosités qui avaient entraîné des infections rénales irréversibles.

Je me souviens de ce matin triste de février 1970, un mercredi ou un jeudi, car je n’avais pas classe. Une fois la funeste nouvelle connue, ma mère m’avait enjoint de prendre mon vélo et d’aller avertir mon père qui travaillait sur le chantier du stade du Moulon à quelques centaines de mètres de la maison.

La vieille 2CV camionnette grise dans laquelle il s’était réfugié pour son casse croûte, grandissait à mesure que je m’en approchais, j’hésitais à venir à hauteur de la vitre, à me pencher pour lui demander d’ouvrir et finalement le voir son sandwich à la main, les joues gonflées par une trop grande bouchée, me dire d’une voix enrouée par l’émotion, il est mort ? avant que je n’ai pu prononcer un seul mot.

Cette année 1970 marquait une rupture. Etait ce l’annonce de la mort de mon oncle de 44 ans, la crainte d’atteindre cet âge mythique de 18 ans, la perspective du bac ?
je ne puis encore le dire aujourd’hui.

Je mesurais alors, la distance qui me séparait l’enfant de 7 ou 8 ans assis sur le parapet de ciment du Marabout.

Ces 8 années étaient passées lentement, avaient agi sur moi à la façon des bactéries qui mystérieusement assure la maturation du vin, j’en avais savouré pleinement l'innombrable multitude de connaissances qu’elles m’avaient apportées sur la vie.

J’avais été un enfant plein d’espoir, imaginatif et tourné vers l’avenir, qui imaginait sans cesse l’an 2000, cette année au cours de laquelle il atteindrait l’âge de 48 ans.

Parvenu à l’âge de 18 ans, soit 30 ans exactement avant cette année 2000 que j’appelais de mes vœux, je commençais à douter du sens de la vie.


24 mars 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (3)

C’est dans cette maison qu’un matin, très tôt, Maman nous avait tous fait lever pour partir.

Les bruits les plus fous avaient courus dans le village, quant à la nécessité pour les européens de partir sous peine de subir les représailles des arabes venus de la montagne.

Nous étions apparemment les derniers à devoir partir. Beaucoup de nos concitoyens, après avoir pris leurs précautions, envois de cadres remplis de meubles, par bateau, et d’argent vers la métropole, avaient gagné Oran puis de là, la France.

Mon père, toujours optimiste, avait son assurance. Le fait d’avoir employé des indigènes dans des conditions sociales décentes, créait selon lui une sorte d’obligation morale, qui avait fait dire à l’un de ses chefs d’équipe :

José, tant qu’on est là tu restes tranquille !

Dans ces moments de crise, cette assurance n’avait plus cours et la décision d’un départ, au moins provisoire, s’imposait pour le moment.

La stratégie familiale reposait encore une fois sur les femmes de la famille, Denise et Antoinette, les deux sœurs, descendantes fidèles de Rosa Damiana et Beatriz, qui avaient été amenées à prendre des décisions semblables 53 années plus tôt lorsqu’il s’était agi de quitter l’Espagne…

Antoinette avait rejoint Bourges dans le centre de la France. Bourges en raison de la proximité de cette ville avec l’orphelinat de la Police à Osmoy.

Dans cette ville elle avait commencé de constituer un réseau de relations autour de son employeur, la maison de draps et linges Planchon.

Régulièrement nous recevions des lettres de notre tante, que nous lisions le soir autour de la table ovale de la cuisine.

Elle nous relatait la perception des événements d’Algérie par les Français de la métropole, dans les conversations nous disait elle, les pieds noirs étaient tous taxés de vils exploiteurs qui payaient les arabes à coup de barre de fer.

Malgré l’adversité de la vie d’une jeune femme pied noir à Bourges, elle avait alors 42 ans, elle avait su prévoir les conditions d’accueil de sa famille.

Son logement de la cité du Beugnon, 2 rue du champ dur au sud de Bourges était prêt à recevoir la horde déferlante de ses frères sœur, oncle et neveux.

Pendant ce temps à Aîn-El-Arba, la partition de la famille s’organisait.

Manuel, le plus jeune frère, était parti à Besançon rejoindre sa belle famille avec femme et enfants.
Mon frère Sébastien, après un passage par Bourges devait les y rejoindre pour passer son bac.

Denise avait choisi de rejoindre sa sœur à Bourges et organisait dans la maison d’Aîn-El-Arba, le camp de base qui servirait de regroupement avant le départ vers la France.

Elle même, Melchior son grand oncle, et Mathilde notre future belle sœur resteraient dans la maison, tandis que Melchior le plus jeune frère de Papa avec Régine sa femme et ses 4 enfants ferait tourner si nécessaire l’entreprise familiale.

Papa, mon frère Damien et moi partions pour Bourges, rejoindre Antoinette.
Nous serions accompagnés de mon Oncle joseph, de son épouse Marinette de leurs deux enfants Michel et Noêl, et du père de Marinette Pablo Cabedo.

Ce matin là donc, notre mère nous avait levé plus tôt que d’habitude.

Nous étions en juin 1962, et comme nous sommes arrivés à Bourges le 13 de ce mois, les faits que je relate, se situent entre la fin du mois de mai et cette date.

Après un petit déjeuner rapide, nous étions prêts, je me souviens du matin blafard de ce presque été algérien, la lumière était blanche sans soleil, et un plafond de nuages gris cachait ce beau ciel bleu violet dont nous avions l’habitude.

La cuisine semblait déserte en raison de cette famille silencieuse réunie autour de la table, je ne me souviens même plus du bruits des bols et des cuillères, ni des paroles qui d’habitude s’échangeaient bruyamment.

Un dernier tour dans les pièces de la maison, me permit de fixer un dernière fois le bureau, les étagères cosy au dessus du petit canapé d’angle, la collection d’Ivanohé aux livres à la tranche verte barrée de doré.

Dans ma chambre j’ouvris une dernière fois le rabat de mon petit secrétaire pour y ranger des soldats de plombs en pensant, je ne sais pourquoi, qu’Ali Bou Basla mon concurrent direct du classement de la classe de CM1 viendrait jouer avec.

Cette pensée bizarrement ne m’attristait pas, je me disais que c’était peut être un moindre mal.

Le petit déjeuner termine, les bols lavés, les adieux expédiés, nous devions nous retrouver chez le Curé du village, Joseph Jimeznez, chez qui nous attendais M Ducotey son chauffeur , Fernande la gouvernante, et l’Aronde fourgonnette qui devait nous conduire à Oran.

RAYMOND, LE BIEN AIME

On aimait bien Raymond, d'abord à cause de ses faux airs à la fois de Paul Newman et de Steve Mac Queen, ensuite parce que son coté américain était renforcé par le fait qu'il portait le même prénom que son père, une sorte de Junior, quelque 40 années avant la mode.
Deuxième série de raisons pour lesquelles on aimait bien Raymond, c'est que les grands au sens large l'aimait bien.
Sa Marraine Tata Denise était prête à lui pardonner des choses qu'elle n'aurait jamais supporté chez d'autres, Marraine, Henriette, le comparait sans cesse à son mari et top du top, Tca Tché lui vouait une admiration sans bornes, retrouvant chez lui, le personnage qu'il était au même âge, vivant à 200 à l'heure avec son copain Damian.
Secrètement, il enviait ce Raymond, qui après avoir passé quelques mois à grimper sur les charpentes de chez Aggard, sillonait les routes du Cher par tous les temps au volant de la 203 fourgonette de la Charcuterie Bassot ; et surtout celui, qui au mépris de l'hiver berrichon de février 1970, n'avait écouté que la voix de son coeur pour emmener les deux soeurs Antoinette et Denise de Bourges à Tours au volant de sa 2CV grise entièrement équipée d'options bricolées, pour assister notre Oncle Melchior hospitalisé pour ses derniers jours.
Une autre raison nous poussait à l'admiration de Raymond, son service militaire en Guyane française dont il nous ramenait des récits merveilleux.
Enfin, nous aimions sa façon de voir les choses, et d'agir, avec un détachement qui cachait souvent une sensibilité exacerbée.

22 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (6)

Pour assurer la solidité de l’ensemble, les angles droits de la croix avaient été brisés ce qui allait conférer à l’ouvrage une spécificité que les exégètes familiaux qualifieraient plus tard de profondément mystique.

Des années après ces événements, je m’interroge sur l’enthousiasme mâtiné d’abnégation dont ils avaient témoigné pour fabriquer cette croix dont des photos prises en 1970 témoignent à la fois de la solidité et certainement du respect interrogatif que la construction aux angles brisés avaient du susciter chez les pilleurs de tombes.

Un autre personnage hante sans cesse ces visites au cimetière, ma tante Lucia, veuve de son mari Eugène, frappée par la naissance d’une fille handicapée, Marie-Rose, disparue après quelques années de vie seulement.
Il était fréquent que je l’accompagne dans ce que je considérais comme des promenades tant ces quelques minutes d’intimité avec elle le long du chemin qui menait du village au cimetière, nous permettaient d’évoquer, comme deux vieux amis, les souvenirs familiaux qui nous étaient communs.
C’est notamment au cours de ces échanges qu’elle évoquait l’enfance de mon père après la disparition de sa mère naturelle, et les brimades que la Tia Rosa, la Tcha tcha Rosa, leur imposait.
Elle, la petite, s’interposait souvent pour, par son attitude bravache, attirer les colères de la nouvelle femme de mon grand père et ainsi en mettre à l’abri le petit José, pourtant de trois ans son aîné, qu’elle considérait comme fragile.
Elle nous comparait souvent, nous ses neveux, qu’elle adorait véritablement, à notre père enfant, des êtres trop bons et trop idéalistes pour être livrés à eux mêmes dans une société hostile par nature.
Cette femme, toujours prête à rire, toujours prête à donner, insouciante au possible, avait trouvé après les malheurs qui l’avaient meurtris, un moyen de résister, être proche des enfants au point de leur ressembler.

Sa maison, lieu magique pour nous, recelait des merveilles dont nous ne nous lassions jamais.
Des dizaines de globes neigeux que nous passions des après midi entières à tourner et retourner, le fameux ivrogne (nous disions le soulard), métallique, auquel nous faisions largement ouvrir la gueule lorsque nous présentions le verre de rouge aimanté dans le bon sens, ou tourner des talons lorsque le verre se présentait dans le mauvais sens.

21 mars 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (2)


Une grande table ovale dans la cuisine soutenait mes méditations. A sept ans passés, un porte plume à la main, je traçais avec rapidité les lettres violettes de ma première punition.

Ce travail terminé, je restais rêveur, à observer les détails géométriques de la toile cirée neuve, les tartines de Gervais sucrées posées devant un grand bol de café au lait.

Sur ma gauche derrière une double porte vitrée, la salle à manger aux meubles d’acajou cirés rehaussés d’un décor en métal argenté, se reposait la semaine des repas bruyants du dimanche.

Dans cette même pièce, derrière les deux grandes portes coulissantes d’un placard mural que l’on pouvait, avec beaucoup de précautions, faire glisser sans bruit aux heures chaudes de la sieste, se trouvaient nos tirelires champignons rouges, dans lesquelles nous prélevions clandestinement, mon frère et moi, quelques larges pièces de vingt francs.

J’en étais rétrospectivement à cette image, lorsque l’une de mes tantes, Antoinette, la plus jeune sœur de Maman montra son visage à la porte toujours ouverte qui donnait de la cuisine dans la cour.

- Tu ne joues pas avec les autres ?
- Non, je termine mon travail !
- Ay ce gosse !

Elle avait traversé la pièce comme une musique, et je me souviens d’avoir eu soudain ce sentiment très fort de fin de quelque chose, peut être la radio jouait-elle dans la pièce d’à côté.

Dehors Il faisait très chaud bien qu’il soit déjà plus de 18h00. Le soleil rasant entrait par la fenêtre au dessus de l’évier.

J’avançais jusqu’à la porte dont l’entrée était protégée par une marquise en tôle ondulée, et regardais comme une dernière fois la volière dite aux 21 canaris, dont même le grillage avait été peint en jaune.

J’ignorais que dans quelques mois nous allions procéder au lâcher symbolique de ces oiseaux, pour les libérer avant notre départ matinal pour Oran.

18 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (5)

Une certitude nous étreignait alors, celle qu’un jour nous aussi nous rejoindrions ce lieu de repos.
Sérigraphiée sur la pierre tombale, une photo de notre oncle Antoine tué à 20 ans près de Bitchwiller en 1945 nous rappelait, son regard juvénile toujours interrogateur, le sourcil droit froncé, qu’il était vain de vouloir imaginer choisir le jour et l’heure de ce moment.

Un été de l’année 1959, mon père et son jeune frère Melchior, entreprirent la rénovation du caveau familial.
Le calendrier moins chargé de l’entreprise de maçonnerie paternelle, les « événements » empêchant d’accepter des chantiers éloignés rendus dangereux par les distances à parcourir sur des routes désertes, rendaient enfin possible la réalisation de ces travaux longtemps différés.
Avec mon frère et plusieurs de mes cousins, nous avions été requis pour participer à cette noble tâche ce qui nous enchantait à l’avance.
Le projet ambitieux d’une croix en béton décorée de faïences brisées du plus bel effet, constituait le clou de cette rénovation.
Macabre pour certains, cette préoccupation d’entretien de la maison de nos morts en 1959 témoignait d’un bel optimisme, ou du moins d’une volonté avérée de braver les augures.

Mon oncle Melchior avait rempli d’eau un fut métallique dans lequel je devais laver les faïences récupérées pour en enlever les fragments de ciment.
Sur un madrier de bois, je devais ensuite briser chaque carreau avec un marteau pour, selon les conseils avisés de mon oncle, obtenir des morceaux capable de s’insérer dans l’œuvre en cours de réalisation.
Il avait lui même réalisé un coffrage de bois à même le sol et coulé le ciment sur les ferrailles constituant l’ossature de la croix.

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA

J'habitais depuis près de huit ans dans ce village lorsque je pris conscience de sa réalité.
La chaleur et la rectitude des rues plates sous le sable et le soleil sont les deux choses qui reviennent pour illustrer cette découverte rétrospective.
D'une place carrelée, des rues partaient en étoile, le centre autour duquel s'organisaient la mairie et l'église en était un kiosque à musique.
Au bout de chacune de ces rues, en fait de grands chemins sans limites réelles, la campagne déserte de montagnes pelées et de cyprès géants s'imposait au regard du voyageur curieux
Une allée de cyprès évidente au premier coup d’œil, conduisait au cimetière, un village grandiose de morts vivants dans le marbre et le ciment, un lieu qui resterait l’unique attache de notre famille à ce village désormais perdu.

Au delà d'une dépression ridicule que nous appelions par dérision la vallée de la mort, il fallait marcher quelques minutes pour se retrouver dans le lit véritable de l'oued qui avait été émasculé et ramené a la dimension de gué dans la traversée du village.

A l'opposé sur le chemin de la « remonte » qui conduisait à la nouvelle école, il fallait emprunter, l’hiver, le piège d’un escalier boueux, taillé à même la glaise, pour atteindre la limite civilisée de l’ancien Aïn-El-Arba, pour atteindre les nouveaux quartiers et l’école ultra moderne.

D'immenses places toujours vides coupaient de loin en loin les lieux essentiels de mon village. Ces grandes taches blanches sous le soleil et le ciel bleu violet, solitudes des heures de sieste, sensation perpétuelle de vacances, donnaient au cadre de vie que je venais de découvrir, alors que j’allais le quitter, le goût amer du paradis perdu.

La maison familiale proche de l’Oued, offrait des lieux plus secrets, et se superposait comme un refuge ou une fuite à ceux de l’extérieur.

LE MAGNETOPHONE DE JANY

Nous tournions notre ennui entre le 4 et le 22 de la rue Gustave Eiffel, au cours d'un de ces célébres étés pourris de 1966 et 1967.
Nous avions tout d'abord, découvert cette formidable invention du langage français, "été pourri", ce qui pour nous qui n'avions connu que de véritables étés semblait une sorte de farce énorme, comme le riz blanc pour le mangeur de paella ou le vin à l'apéritif pour un buveur d'anisette.
Ce qui caractérisait ces étés pourris, est que le Ministère de l'ORTF, il n'y avait qu'une seule chaine de TV à l'époque, attendait les prévisions de Météo France pour l'après midi et décidait alors, en cas de pluie, et pour éviter que les jeunes désoeuvrés des cités, ne passe leur temps dans les cages d'escalier à commettre on ne sait quels délits, de diffuser à 15h00, un film inédit pour édifier notre sens moral et notre culture.
Ces films restent des références , du style "le jour où la terre s'arrêta", "la guerre des deux mondes", "la créature de l'espace" et autres chefs d'oeuvre de la culture américaine, ce qui semble aujourd'hui un véritable paradoxe pour un gouvernement dont le Président n'était autre que le Général de Gaulle, et le Premier Minstre un certain Michel Debré.
Forts de cet exemple, au cours de ces étés pourris, nous avions inventé une activité créatrice grace au magnétophone à bande que notre cousine Jany avait reçu à l'occasion de sa réussite au BEPC.
C'était une grande première à l'époque, de disposer de cet appareil magique qui permettait d'enregistrer sa voix.
Passés les premiers jeux à enregistrer en cachette la voix des autres et à leur repasser jusqu'à l'ennui, nous en étions arrivé, après plusieurs après midi de tatonnements, à de véritables séances d'enregistrement.
Munis des derniers numéros de salut les copains, qui publiait chaque semaine les paroles des tubes en vogue, les chou-chous de la semaine, nous nous affutions à produire le meilleur de nos talents de chanteur sur les bandes qui tournaient à l'envie.
Je me souvient de Jany qui s'époumonait sur les traces de Johnny "dans la vallée de l'Oklahoma, un coup de fusil fait mouche à toutes les fois, mais attention un jour tu finiras dans la poussière les bras en croix...tu triches au jeu et dans le pays...."
Damien mon fère, dans un registre tout à fait particulier, avait choisi Bobby Lapointe et sa Julie Bonbon c'est bon c'est bon.....elle servait le champagne chez M Taittinger...
Je passerais sur la performance de Monique, alors fan inconditionnelle de Marie Laforet, qui nous faisait frisonner avec les vendanges de l'amour.
Affranchis du micro, et sous la houlette du Prince, de passage pour des vacances, nous nous étions lancés dans des réalisations plus ambitieuses, notamment une pièce qui se déroulait à Paris, dans un club mal famé où l'on buvait du Costières du Gard avec Gigi et Lulu de Paname et Albert Tutucelli dit la Fontaine à Prunaux.
heureux étés pourris de la France des années 1960 juste un peu avant mai 1968.

LE SOUVENIR DES VIVANTS (4)

Ce qui frappait tout d’abord dans ce vaste paysage à la luminosité violente marquée par le bleu profond du ciel et le jaune aride des terres alentours, était l’émergence de ce champ des morts aux monuments de pierre d’un gris antique rehaussé par le vert somptueux de cyprès géants et clôturé par un mur d’enceinte dont le seul accès était une haute grille de fer dont la rouille s’estompe dans mes souvenirs.
C’est comme si le contraste marquait la volonté des bâtisseurs du village de faire de cet endroit un espace réservé qui rappela encore davantage le lien avec la civilisation de ceux qui y étaient inhumés.
Ceux la même dont les origines étaient diverses, qui pour la plupart avaient fui leur pays pour bâtir dans un monde neuf, une réalité économique et sociale empreinte des valeurs perdues de la métropole lointaine, avaient gagnés à leur mort le droit de reposer dans un cimetière reconnaissant par son architecture et son organisation qu’ils avaient contribué par leur action à la construction d’une société multi-raciale appelée à disparaître par cette force des choses appelée progrès.

D’où qu’il se tint dans les allées du cimetière, le visiteur pouvait embrasser du regard la totalité des monuments funéraires, et au-delà de la muraille d’enceinte par delà les cyprès ses yeux se portaient vers l’horizon lointain, en suivant les lignes vertes de la vigne qui semblait s’étendre en courbe vers un point de fuite inconnu, la bas dans la fusion du ciel et de la terre.
La vanité de sa situation lui apparaîssait alors, lui le vivant seul au milieu des disparus, cherchant un sens à sa présence passagère ici bas, un but différent de la fin qui l’amènerait un jour, inéluctablement, à rejoindre ceux qu’il dominait pour le moment, de sa station debout.Nous-mêmes, enfants, nous étions très au fait de la composition de ce lieu, nous n’ignorions pas que le monument de l’allée centrale, celui qui se détachait de tous les autres par sa hauteur, celui qui était entouré de cyprès abritaient les dépouilles de tous les prêtres qui avaient exercé leur sacerdoce au village.
Nous savions que la bas dans l’allée qui bordait la partie sud du mur d’enceinte reposait Camille, un jeune enfant de douze ans emporté par la leucémie, dont la photo sépia nous souriait sur la pierre tombale.
Plus loin encore, derrière un cyprès majestueux, une tombe nous attirait plus que les autres.
Là sous la terre, deux jeunes filles, disparues un dimanche après midi dans des conditions non élucidées, et retrouvées mortes, reposaient à tous jamais.
L’origine ethnique, quasi tribale de ce crime que nous qualifiions d’odieux, s’imposait insidieusement dans les esprits, tache noire, maculant même, les raisonnements les plus sensés, et qui un jour allait s’imposer comme la norme de pensée.
Certains dimanches après midi nous ramassions les fruits de cyprès sous la houlette de notre tante Lucia pour en faire des décoctions et nous jouions souvent a les utiliser comme des projectiles dont la dureté se revelait plus meurtrière encore sous la chaleur, lorsqu`ils atteignaient un œil ou une joue.
De notre caveau familial nous connaissions parfaitement les occupants et les dispositions. Nous savions que là, reposait notre frère mort né dont l’inscription en cursive sur le livret de famille nous fascinait.
Nous aimions à consulter, clandestinement, ce document officiel, preuve de notre existence administrative, mais aussi pour nous assurer de la réalité de cette expression mort-né écrite patiemment à la plume par quelque employé d’état civil particulièrement zélé.

05 mars 2006

OUAFYA : UNE NOUNOU D'ENFER

Ouafya, la fille de Bachir, habitait avec sa famille en face de notre maison, de l'autre côté de l'oued qui traversait le village, vers la remonte. Cet Oued avait été canalisé par un magnifique ouvrage en béton qui lui donnait une fière allure de canal.
Mon cousin Vincent, instituteur au village, commentait avec son fort accent et sa gouaille pied noir caractéristique, l'ouvrage en moquant le maire Victori, sur le ton, il nous a fait le Rhone, avec ces murs en béton.
Ouafya, nous gardait dans la journée, alors que nos parents travaillaient, elle était un peu notre jeune mère, notre compagne de jeu, notre grande soeur. Plus tard, elle épousa Bouhadjar, une sorte de Kabyle Rock and Roll, dont nous eumes des nouvelles vers 1982 alors que beaucoup d'Algériens lassés de la dé-colonisation cherchaient à renouer contact avec leurs anciens oppresseurs.
La voix de Ouafya, chantant des mélopées étranges alors que nous résistions au sommeil de la sieste obligatoire de l'après midi, reste un souvenir obsédant des jours de grande chaleur, lorsque le ticouk nous reprend, même ici en France !

28 février 2006

MELCHIOR L'ANCIEN

Prêt de 57 années après la photo de Melchior le magnifique, nous avons une photo de Melchior l'ancien à l'âge de 72 ans. On le distingue dans le flou de cette salle de restaurant de l'Ardèche profonde, à l'occasion du mariage d'une de ses arrières petites nièces. Sa posture bien connue de fumeurs de "puros", avec le bras dont la main tient le cigare, légèrement replié, et l'air inspiré de celui qui avale la vie comme l'on avale la fumée des havanes. 3 ans avant la chanson de Gainsbourg, Dieu est un fumeur de havanes, Melchior notre Dieu avait déjà fumé un nombre non communiqué de ces cilindres cubains au parfum entêtant.

LUCIA ET LES BD

A l'été 1960 ou 1961, nous étions tous à la colonie du curé, la cité ardente. La colo avit un hymne qui disait :
c'est notre cité ardente
qui voit fier et marche droit,
la peur en est absente, car en son chef est la foi...
Tous, c'est à dire mon frère Damien, mon cousin Roger, Christian, et Sébastien.
Ma tante Lucia, en était la cuisinière.
Cette couverure de BD, était l'une des livres que nous avions emmenés... qu'elle avait officiellement amené, car en fait les BD étaient interdites par le Curé.
Lucia était notre couverture, elle qui ne savait ni lire ni écrire , prétendait, en racontant les histoires de nos BD, le soir à la veillée, qu'elle adorait ces histoires qui la détendait après une dure journée à cuisiner, ranger et astiquer les dortoirs.
On ne sait qui était dupe de nous ou du Curé Jimenez, qui gobait ces histoires de Lucia fan de BD !

LILIANE ET LES DEUX SOEURS

A l'image de Béatriz et Rosa, les deux soeurs mythiques dont les maris s'étaient embarqués, l'un en 1909 pour l'Algérie, l'autre en 1922 pour Rio de la Plata en Argentine, Denise et Antoinette, leurs petites nièces, ont vécu à leur façon une saga aussi héroïque.
Confrontés à l'arrivée dans des pays neufs, elles ont su construire un univers fabuleux à partir de rine, recommencer lorsqu'elles ont remmené de l'Algérie vers la France, familles et enfants, en leur donnant à nouveau l'énergie des ancètres, la rage des pionniers pour retrouver l'univers mythique qui les a toujours guidé vers l'espoir. On les voit ici en compagnie de Liliane une autre héroïne de saga.

LOS PUROS

Nous avions longtemps hésiter avant de comprendre que los "Puros" signifiait en fait los puros de la Habana, des cigares Havane "purs", des vrais de vrai venus de la Havane, pays mythique, dans lequel notre arrière Grand Père était parti faire la guerre contre les Américains en 1905. Tcha Tché, Melchior le magnifique, avait repris cette tradition qui nous hante encore, de fumer à longueur de journée, d'énormes cigares qui exhalaient une fumée blanche épaisse et une odeur entêtante au dessus des tables de billard. Car avec los"Puros", il y avait le bar du village, les dimanches après la messe, où, enfants nous accompagnions nos parents pour les regarder jouer, boire, rire et parler de choses qui nous dépassaient mais dont nous savions qu'un jour nous allions aussi en parler autour d'un billard avec un "puro" et un verre d'anisette.
Hélas, le village est ailleurs, nous sommes ici après avoir été la-bas, les "puros" n'ont plus tout à fait le même goût, l'anisette est moins bonne, et les boules de billard ne sonnent plus de la même façon.
Allez encore un "puro", une anisette et un rétro pour commencer une série de points qui vous laissera tous comme des bacoras.