18 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (5)

Une certitude nous étreignait alors, celle qu’un jour nous aussi nous rejoindrions ce lieu de repos.
Sérigraphiée sur la pierre tombale, une photo de notre oncle Antoine tué à 20 ans près de Bitchwiller en 1945 nous rappelait, son regard juvénile toujours interrogateur, le sourcil droit froncé, qu’il était vain de vouloir imaginer choisir le jour et l’heure de ce moment.

Un été de l’année 1959, mon père et son jeune frère Melchior, entreprirent la rénovation du caveau familial.
Le calendrier moins chargé de l’entreprise de maçonnerie paternelle, les « événements » empêchant d’accepter des chantiers éloignés rendus dangereux par les distances à parcourir sur des routes désertes, rendaient enfin possible la réalisation de ces travaux longtemps différés.
Avec mon frère et plusieurs de mes cousins, nous avions été requis pour participer à cette noble tâche ce qui nous enchantait à l’avance.
Le projet ambitieux d’une croix en béton décorée de faïences brisées du plus bel effet, constituait le clou de cette rénovation.
Macabre pour certains, cette préoccupation d’entretien de la maison de nos morts en 1959 témoignait d’un bel optimisme, ou du moins d’une volonté avérée de braver les augures.

Mon oncle Melchior avait rempli d’eau un fut métallique dans lequel je devais laver les faïences récupérées pour en enlever les fragments de ciment.
Sur un madrier de bois, je devais ensuite briser chaque carreau avec un marteau pour, selon les conseils avisés de mon oncle, obtenir des morceaux capable de s’insérer dans l’œuvre en cours de réalisation.
Il avait lui même réalisé un coffrage de bois à même le sol et coulé le ciment sur les ferrailles constituant l’ossature de la croix.

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