08 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-ELARBA (7)

Enfin, comme dans un pensionnat d’élèves turbulents, le calme vint progressivement.
Le silence de la nuit s’installa accompagné de son cortège de soupirs et de respirations de toutes sortes.

Je m’étais endormi avant les ronflements. En cet instant, près de ma famille, mais entouré de centaines d’inconnus, loin de ma mère et de ma maison, j’éprouvais les sentiments d’une solitude cruelle que j’acceptais sans vraiment la comprendre.

Mon père n’était pas homme à entendre nos doléances sentimentales, et j’éprouvais quelque honte à pleurer dans le giron de ma tante déjà fort occupée par son père son mari et ses deux enfants ; de toute façon j’ignore et je ne voulais pas le savoir comment elle aurait accueilli mes états d’âme.

Dans la maison d’Aïn-El-Arba, j’imaginais Maman seule avec Tcha Tche et Mathilde.
Tcha Tche, comme à son habitude depuis quelques mois, avait du bloquer la porte principale avec une fourche.
Cette pratique ne soulevait guère d’enthousiasme mais faisait partie des initiatives intempestives auxquelles notre grand oncle nous avait habitué.
J’avoue que nous autres enfants, nous les regardions avec un œil bienveillant, n’hésitant jamais à lui venir en aide pour leur mise en œuvre, considérant que cela faisait partie de notre éducation.

La théorie de Tcha Tche est qu’une fourche de cette taille qui tombe sur le carrelage sous la poussée d’un envahisseur mal intentionné provoque un tel raffut dans la nuit, qu’elle constitue à coup sur la meilleure des alarmes et le meilleur des repoussoirs pour l’intrus.

Un soir, alors que ce cérémonial avait pris fin, et que les bruits autour de la maison s’étaient stabilisés, puis estompés dans le noir, frottements non identifiés, passage de groupes furtifs dans le lit de l’oued, glapissements lointains de chacals, un orage violent éclata sur le village anesthésié sous le couvre feu.

Nous étions restés immobiles dans le couloir avec ma mère et mon oncle, attentifs une dernière fois, attendant le moment de prendre notre infusion du soir pour rejoindre nos chambres.

Dans cet univers de sons étouffés sous la pluie, le ronronnement régulier d’un moteur montait dans la nuit. Il se rapprochait inéluctablement de la maison devant laquelle il s’arrêta après un dernier hoquet.

Cet événement inattendu nous interrompit dans notre veille, et nous fit oublier notre infusion qui attendait sur la petite table du bureau.

Nous n’étions que trois dans la maison, mon père travaillait dans le sud, mes frères étaient au collège à Oran sauf mon frère aîné qui effectuait son service militaire à Teniet El Hadj dans l’Ouarsenis.

En file indienne, ma mère Tcha Tche et moi fermant la marche, nous nous rapprochions au plus près de la porte et attendions que le conducteur du véhicule se manifeste.

Une vois assourdie nous parvint au travers de la porte et de l’épais rideau de black out :

- c’est Mathilde !

Aussitôt ma mère se précipita pour ouvrir et refermer la porte, juste le temps nécessaire pour permettre à Mathilde de rentrer rapidement et discrètement dans la maison.

Dans cet enchaînement de mouvements brusques, la fourche était tombée sur le carrelage faisant un raffut propre à réveiller ceux qui ne l’était pas encore.
Cette bourde supplémentaire fut aussitôt mise à l’actif de notre grand oncle.

Ma mère nous invita tous à nous asseoir autour de la petite table du bureau et baissa la lampe sur le tapis marocain vert et rouge.

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