30 avril 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (5)

L’appartement, quasiment vide, ma tante et mes deux cousines étant déjà parties pour la France, ajoutait au caractère désolant de tout ce que nous venions de vivre.

La salle à manger éclairée par la lumière d’un immense balcon donnant sur la ville et au loin le port, semblait ridicule avec cette table de formica vert pale aux pieds en alu, qui siégeait de façon incongrue en son milieu.

Aussitôt arrivés, nous avons déposé nos bagages ; je me souviens très bien de ma petite valise de carton bouilli beige avec des coins renforcés d’une couleur plus foncée, et de la ménagère, cadeau de mariage des mes parents que mon frère Damien devait surveiller comme la prunelle de ses yeux ; pour repartir vers le port de tourisme dans la 4CV bleu pétrole de mon oncle François.

En chemin, celui ci, pour nous faire gagner du temps, soi disant, avait choisi un itinéraire improbable par des rues connues de lui seul, et dans lesquelles nous nous heurtions inévitablement à des barrages militaires.

Sans hésiter, il choisissait une solution de contournement en nous disant qu’il maîtrisait la situation et adressait, alors qu’il tournait brutalement à droite ou à gauche avant le barrage, un message en morse à l’aide de son klaxon en répétant à voix haute son contenu supposé.

Nous avons bien vu quelques fois les militaires lever les bras au ciel en montrant la 4CV, mais la méthode s’est avérée efficace puisque nous sommes arrivés sans encombre au port.

La foule immense qui attendait a refroidi, quelques instants, notre ardeur, mais mon père, infatigable optimiste, nous dit :
- attendez là !
- je vais voir,
et comme chaque fois dans des situations identiques, il revenait souriant, alors que nous commencions à douter et à nous impatienter, en nous disant :
- ça y est j’ai les billets.

Le retour vers l’appartement fut moins chaotique, peut être parce que nous étions rassurés par la certitude de pouvoir partir vers la France, peut être aussi parce que ce voyage d’Aïn-El-Arba vers Oran puis ce périple dans Oran et cette attente au port nous avait quelque peu, déjà, endurcis.

L’appartement presque vide nous attendait, je ne sais plus très bien qui avait suivi le périple au port, je me souviens en avoir été, peut être mon frère Damien aussi, peut être mon oncle Joseph également, je ne sais plus.

Je ne dirais rien sur le dîner de ce soir là, car je me demande s’il y a eu un dîner.

Mon oncle parti prendre son service de nuit nous avait donné quelques recommandations en nous assurant qu’il serait, de bonheur, présent le lendemain.

Dans la nuit oranaise, nous peinions à trouver le sommeil, chacun concentré je le supposais, sur les événements des journées qui venaient de s’écouler et de celles qui allaient venir.

je pensais fixement à ma mère restée seule avec l’oncle et Mathilde, me demandant si j’allais la revoir un jour.
Bizarrement, alors que j’étais assez sensible, habituellement, à son absence, je parvins à ne pas pleurer.

Je considérais, dans ma jeune tête, les événements à venir dont j’ignorais tout, mais dont je sentais instinctivement, qu’ils se dérouleraient comme les précédents, sous le signe d’une providence bienveillante, dont les responsables m’apparaissaient précisément être mes parents, et mon père surtout.

Avec le temps, je maintiens ce sentiment récurrent d’une protection familiale quasi divine qui nous vient de loin, forgée par la geste de la saga familiale, marquée par de nombreux épisodes de migration, d’abandon et d’installation dans des positions et des pays nouveaux.

La nuit s’était installée et l’appartement soupirait des respirations fortes de ses occupants qui cherchaient à masquer dans un sommeil réel ou feint, des angoisses que je connaissais moi même.

Pour accompagner ces bruits intérieurs, la rue nous répliquait en émettant des bruits divers, plus inquiétant les uns que les autres, voitures hurlantes, piétinements, courses poursuites, cris, coups de feu lointains, comme pour nous rappeler à la réalité de notre situation.

Nous étions couchés depuis peu de temps, une heure peut être, lorsque…je vais relater là un fait qui reste une légende familiale mais qui est une réalité... lorsque des coups faibles retentirent à la porte d’entrée.

Je ne sais plus qui se leva pour aller ouvrir, après avoir écouté pour évaluer l’éventuel danger que représentait ce visiteur inattendu et nocturne, mais nous fûmes plusieurs, debout devant la porte ouverte, pour regarder avec stupéfaction une voisine de notre oncle François dans un déshabillé vaporeux, une énorme clef anglaise à la main demandant si François était là, car elle devait lui rendre cet outil de toute urgence…

25 avril 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (4)

Je ne me souviens plus très bien comment nous étions assis dans cette aronde familiale, ni si ma mère nous accompagnait, mais je crois me souvenir que mon père avait pris sa voiture et que nous nous suivions.

La voiture de mon père était une dauphine blanche immatriculée 284 FD 9G.

J’ai su plus tard qu’elle avait été convoyée d’Oran à Bourges par la société Serre et Pilaire pour un prix de 31.50 francs de l’époque.

Elle devait quitter le port d’Oran le 25 juin 1962 pour arriver à Bourges le 03 juillet 1962.

Nous étions donc partis les uns dans la fourgonnette du curé, les autres dans la dauphine paternelle, deux voitures isolées dans ce mois de juin de tourmente, sur la route entre Aïn-El-Arba et Oran.

Une route qui semblait interminable dans ce matin gris sans soleil.

Je revois maintenant, précisément la scène, moi et mes cousins à l’arrière de l’aronde du curé, les yeux fixés sur le compteur de vitesse.

C’était un compteur Simca qui ressemblait à un thermomètre horizontal et sur lequel la vitesse était indiquée par une sorte de liquide orange qui progressait vers la droite au fur et à mesure que la voiture accélérait.

Nous roulions à 110 120 kilomètres à l’heure, et j’étais impressionné par la stabilité du liquide orange sur ces chiffres magiques 110 120.

J’observais fixement le compteur, peut être pour ne pas avoir à parler, lorsque je le vis descendre subitement, et sentis simultanément la voiture ralentir.

M Ducotey poussa un juron en ralentissant et tous le monde regarda la voiture en panne sur le bord de la route et les deux arabes en djellaba qui nous faisaient signe de nous arrêter.

Dans une sorte de manœuvre très subtile, notre chauffeur vint doucement à hauteur des deux hommes, puis semblant les reconnaître, accéléra en tournant la tête vers eux, ce qui fit faire une légère embardée à la voiture.

Personne ne disait rien et nous regardâmes la voiture de mon père derrière nous qui avait scrupuleusement effectué la même manœuvre que l’aronde.

Avions nous échappé à une embuscade ?, j’aimais à le croire, mais personne n’en parla plus tout au long du chemin vers Oran.

Dopée par l’incident , la voiture reprit sa vitesse initiale et le compteur se cala à nouveau sur le chiffre de 110 kilomètres à l’heure.

Nous avions parcouru la moitié du chemin, environ, lorsque nous rattrapâmes un convoi escorté par deux half-tracks qui avait du se constituer le matin même dans le village, et partir un peu plus tôt que nous.

L’adjudant de gendarmerie responsable de ce convoi nous obligea cette fois à stopper, et fit remarquer vertement aux chauffeurs qu’ils avaient été inconscients de partir seul avec autant de personnes dans deux voitures sans protection.

C’est donc escortés par la gendarmerie, et à vive allure que nous sommes entrés dans Oran.

La ville n’avait plus son allure des jours de vacances, celle que je connaissais lorsque je venais en vacances chez mon parrain.
Je ne sais plus, d'ailleurs, si lui et sa femme étaient encore à Oran à ce moment.

Cette fois, nous étions accueillis par mon oncle François, policier de son état, qui attendait lui aussi son départ pour la France.

06 avril 2006

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA : LA REGLE DU JEU

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UNE HISTOIRE POUR CHAQUE N°, des grenades recousues sur l'arbre, à la grosse pêche volée, aux macaronis de Tcha Tché, à la leçon d'omelette de pomme de terres de Denise à Paulette, à l'huile de friture bue par Tcha Tché, à Mme Renée commerçante, au cinéma des arabes, aux Fellaghas dans la maison d'en face, la Toria, Dada dans la buanderie, la grotte de la Vierge et les fusils enterrés, l'épreuve des Bouilla Cramanous, etc etc......

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA : LE JEU

LA MAISON D'AÏN-EL-ARBA

03 avril 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (7)

C’est en 1961 je crois, que notre maison accueillait la dépouille d’un autre oncle, Raymond, emporté par la maladie, le mari d’une sœur de ma mère à laquelle nous étions très attachés.
La conduite que je devais adopter face à mes cousins touchés par un événement dont la possible survenance restait pour moi l’une des plus grandes terreurs reste le souvenir le plus frappant de cet événement.

Pour éviter de mobiliser un lit occupé par un vivant, la salle à manger des jours de fête et de liesse avait été dressée en salon funéraire, je me souviens du soleil éclatant de ce jour là.
Mon grand oncle Melchior avait été réquisitionné pour déménager les meubles afin de pouvoir installer le cercueil face à la porte de cérémonie, une double porte battante souvent condamnée qui donnait dans le couloir de l’entrée principale.

Mes plus jeunes cousines âgées de deux et trois ans semblaient toujours marquer un temps d’arrêt devant cette porte bien longtemps après l’événement, qui leur avait été présenté comme un voyage chez tata Denise pour adoucir la cruauté de la nouvelle.

La plus jeune, lorsqu’elle pénétrait dans la pièce et qu’elle y voyait une salle à manger, marquait une pause et semblait toujours chercher le lit dont elle avait conservé l’image dans son souvenir comme si cela n’avait été qu’un rêve troublant dont elle cherchait à effacer les traces.

Nous étions maintenant en France depuis huit ans, soit onze ans après la rénovation du caveau familial et l’épisode de la croix de béton aux angles brisés.
L’année où nous obtenions une photo, je ne sais par quels moyens, de notre caveau abandonné, mon oncle Melchior co-auteur de cet ouvrage nous quittait.
Sa santé fragile, mais aussi la pénibilité de son métier, avaient eu raison de lui.
Il souffrait de dysfonctionnements rénaux graves, sur l’origine desquels plusieurs médecins s’étaient penchés.
Longtemps, j’ai cru que cette maladie pourrait m’atteindre et l’annonce de sa mort avait provoqué un grand trouble chez moi comme si elle avait constitué un avertissement divin.
L’une des causes supposée de l’infection rénale de Melchior était la propension lorsqu’il était jeune à multiplier les incidents bronchitiques.
Cela avait pour conséquence selon notre médecin de famille l’ingestion de mucosités qui avaient entraîné des infections rénales irréversibles.

Je me souviens de ce matin triste de février 1970, un mercredi ou un jeudi, car je n’avais pas classe. Une fois la funeste nouvelle connue, ma mère m’avait enjoint de prendre mon vélo et d’aller avertir mon père qui travaillait sur le chantier du stade du Moulon à quelques centaines de mètres de la maison.

La vieille 2CV camionnette grise dans laquelle il s’était réfugié pour son casse croûte, grandissait à mesure que je m’en approchais, j’hésitais à venir à hauteur de la vitre, à me pencher pour lui demander d’ouvrir et finalement le voir son sandwich à la main, les joues gonflées par une trop grande bouchée, me dire d’une voix enrouée par l’émotion, il est mort ? avant que je n’ai pu prononcer un seul mot.

Cette année 1970 marquait une rupture. Etait ce l’annonce de la mort de mon oncle de 44 ans, la crainte d’atteindre cet âge mythique de 18 ans, la perspective du bac ?
je ne puis encore le dire aujourd’hui.

Je mesurais alors, la distance qui me séparait l’enfant de 7 ou 8 ans assis sur le parapet de ciment du Marabout.

Ces 8 années étaient passées lentement, avaient agi sur moi à la façon des bactéries qui mystérieusement assure la maturation du vin, j’en avais savouré pleinement l'innombrable multitude de connaissances qu’elles m’avaient apportées sur la vie.

J’avais été un enfant plein d’espoir, imaginatif et tourné vers l’avenir, qui imaginait sans cesse l’an 2000, cette année au cours de laquelle il atteindrait l’âge de 48 ans.

Parvenu à l’âge de 18 ans, soit 30 ans exactement avant cette année 2000 que j’appelais de mes vœux, je commençais à douter du sens de la vie.