24 mars 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (3)

C’est dans cette maison qu’un matin, très tôt, Maman nous avait tous fait lever pour partir.

Les bruits les plus fous avaient courus dans le village, quant à la nécessité pour les européens de partir sous peine de subir les représailles des arabes venus de la montagne.

Nous étions apparemment les derniers à devoir partir. Beaucoup de nos concitoyens, après avoir pris leurs précautions, envois de cadres remplis de meubles, par bateau, et d’argent vers la métropole, avaient gagné Oran puis de là, la France.

Mon père, toujours optimiste, avait son assurance. Le fait d’avoir employé des indigènes dans des conditions sociales décentes, créait selon lui une sorte d’obligation morale, qui avait fait dire à l’un de ses chefs d’équipe :

José, tant qu’on est là tu restes tranquille !

Dans ces moments de crise, cette assurance n’avait plus cours et la décision d’un départ, au moins provisoire, s’imposait pour le moment.

La stratégie familiale reposait encore une fois sur les femmes de la famille, Denise et Antoinette, les deux sœurs, descendantes fidèles de Rosa Damiana et Beatriz, qui avaient été amenées à prendre des décisions semblables 53 années plus tôt lorsqu’il s’était agi de quitter l’Espagne…

Antoinette avait rejoint Bourges dans le centre de la France. Bourges en raison de la proximité de cette ville avec l’orphelinat de la Police à Osmoy.

Dans cette ville elle avait commencé de constituer un réseau de relations autour de son employeur, la maison de draps et linges Planchon.

Régulièrement nous recevions des lettres de notre tante, que nous lisions le soir autour de la table ovale de la cuisine.

Elle nous relatait la perception des événements d’Algérie par les Français de la métropole, dans les conversations nous disait elle, les pieds noirs étaient tous taxés de vils exploiteurs qui payaient les arabes à coup de barre de fer.

Malgré l’adversité de la vie d’une jeune femme pied noir à Bourges, elle avait alors 42 ans, elle avait su prévoir les conditions d’accueil de sa famille.

Son logement de la cité du Beugnon, 2 rue du champ dur au sud de Bourges était prêt à recevoir la horde déferlante de ses frères sœur, oncle et neveux.

Pendant ce temps à Aîn-El-Arba, la partition de la famille s’organisait.

Manuel, le plus jeune frère, était parti à Besançon rejoindre sa belle famille avec femme et enfants.
Mon frère Sébastien, après un passage par Bourges devait les y rejoindre pour passer son bac.

Denise avait choisi de rejoindre sa sœur à Bourges et organisait dans la maison d’Aîn-El-Arba, le camp de base qui servirait de regroupement avant le départ vers la France.

Elle même, Melchior son grand oncle, et Mathilde notre future belle sœur resteraient dans la maison, tandis que Melchior le plus jeune frère de Papa avec Régine sa femme et ses 4 enfants ferait tourner si nécessaire l’entreprise familiale.

Papa, mon frère Damien et moi partions pour Bourges, rejoindre Antoinette.
Nous serions accompagnés de mon Oncle joseph, de son épouse Marinette de leurs deux enfants Michel et Noêl, et du père de Marinette Pablo Cabedo.

Ce matin là donc, notre mère nous avait levé plus tôt que d’habitude.

Nous étions en juin 1962, et comme nous sommes arrivés à Bourges le 13 de ce mois, les faits que je relate, se situent entre la fin du mois de mai et cette date.

Après un petit déjeuner rapide, nous étions prêts, je me souviens du matin blafard de ce presque été algérien, la lumière était blanche sans soleil, et un plafond de nuages gris cachait ce beau ciel bleu violet dont nous avions l’habitude.

La cuisine semblait déserte en raison de cette famille silencieuse réunie autour de la table, je ne me souviens même plus du bruits des bols et des cuillères, ni des paroles qui d’habitude s’échangeaient bruyamment.

Un dernier tour dans les pièces de la maison, me permit de fixer un dernière fois le bureau, les étagères cosy au dessus du petit canapé d’angle, la collection d’Ivanohé aux livres à la tranche verte barrée de doré.

Dans ma chambre j’ouvris une dernière fois le rabat de mon petit secrétaire pour y ranger des soldats de plombs en pensant, je ne sais pourquoi, qu’Ali Bou Basla mon concurrent direct du classement de la classe de CM1 viendrait jouer avec.

Cette pensée bizarrement ne m’attristait pas, je me disais que c’était peut être un moindre mal.

Le petit déjeuner termine, les bols lavés, les adieux expédiés, nous devions nous retrouver chez le Curé du village, Joseph Jimeznez, chez qui nous attendais M Ducotey son chauffeur , Fernande la gouvernante, et l’Aronde fourgonnette qui devait nous conduire à Oran.

RAYMOND, LE BIEN AIME

On aimait bien Raymond, d'abord à cause de ses faux airs à la fois de Paul Newman et de Steve Mac Queen, ensuite parce que son coté américain était renforcé par le fait qu'il portait le même prénom que son père, une sorte de Junior, quelque 40 années avant la mode.
Deuxième série de raisons pour lesquelles on aimait bien Raymond, c'est que les grands au sens large l'aimait bien.
Sa Marraine Tata Denise était prête à lui pardonner des choses qu'elle n'aurait jamais supporté chez d'autres, Marraine, Henriette, le comparait sans cesse à son mari et top du top, Tca Tché lui vouait une admiration sans bornes, retrouvant chez lui, le personnage qu'il était au même âge, vivant à 200 à l'heure avec son copain Damian.
Secrètement, il enviait ce Raymond, qui après avoir passé quelques mois à grimper sur les charpentes de chez Aggard, sillonait les routes du Cher par tous les temps au volant de la 203 fourgonette de la Charcuterie Bassot ; et surtout celui, qui au mépris de l'hiver berrichon de février 1970, n'avait écouté que la voix de son coeur pour emmener les deux soeurs Antoinette et Denise de Bourges à Tours au volant de sa 2CV grise entièrement équipée d'options bricolées, pour assister notre Oncle Melchior hospitalisé pour ses derniers jours.
Une autre raison nous poussait à l'admiration de Raymond, son service militaire en Guyane française dont il nous ramenait des récits merveilleux.
Enfin, nous aimions sa façon de voir les choses, et d'agir, avec un détachement qui cachait souvent une sensibilité exacerbée.

22 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (6)

Pour assurer la solidité de l’ensemble, les angles droits de la croix avaient été brisés ce qui allait conférer à l’ouvrage une spécificité que les exégètes familiaux qualifieraient plus tard de profondément mystique.

Des années après ces événements, je m’interroge sur l’enthousiasme mâtiné d’abnégation dont ils avaient témoigné pour fabriquer cette croix dont des photos prises en 1970 témoignent à la fois de la solidité et certainement du respect interrogatif que la construction aux angles brisés avaient du susciter chez les pilleurs de tombes.

Un autre personnage hante sans cesse ces visites au cimetière, ma tante Lucia, veuve de son mari Eugène, frappée par la naissance d’une fille handicapée, Marie-Rose, disparue après quelques années de vie seulement.
Il était fréquent que je l’accompagne dans ce que je considérais comme des promenades tant ces quelques minutes d’intimité avec elle le long du chemin qui menait du village au cimetière, nous permettaient d’évoquer, comme deux vieux amis, les souvenirs familiaux qui nous étaient communs.
C’est notamment au cours de ces échanges qu’elle évoquait l’enfance de mon père après la disparition de sa mère naturelle, et les brimades que la Tia Rosa, la Tcha tcha Rosa, leur imposait.
Elle, la petite, s’interposait souvent pour, par son attitude bravache, attirer les colères de la nouvelle femme de mon grand père et ainsi en mettre à l’abri le petit José, pourtant de trois ans son aîné, qu’elle considérait comme fragile.
Elle nous comparait souvent, nous ses neveux, qu’elle adorait véritablement, à notre père enfant, des êtres trop bons et trop idéalistes pour être livrés à eux mêmes dans une société hostile par nature.
Cette femme, toujours prête à rire, toujours prête à donner, insouciante au possible, avait trouvé après les malheurs qui l’avaient meurtris, un moyen de résister, être proche des enfants au point de leur ressembler.

Sa maison, lieu magique pour nous, recelait des merveilles dont nous ne nous lassions jamais.
Des dizaines de globes neigeux que nous passions des après midi entières à tourner et retourner, le fameux ivrogne (nous disions le soulard), métallique, auquel nous faisions largement ouvrir la gueule lorsque nous présentions le verre de rouge aimanté dans le bon sens, ou tourner des talons lorsque le verre se présentait dans le mauvais sens.

21 mars 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (2)


Une grande table ovale dans la cuisine soutenait mes méditations. A sept ans passés, un porte plume à la main, je traçais avec rapidité les lettres violettes de ma première punition.

Ce travail terminé, je restais rêveur, à observer les détails géométriques de la toile cirée neuve, les tartines de Gervais sucrées posées devant un grand bol de café au lait.

Sur ma gauche derrière une double porte vitrée, la salle à manger aux meubles d’acajou cirés rehaussés d’un décor en métal argenté, se reposait la semaine des repas bruyants du dimanche.

Dans cette même pièce, derrière les deux grandes portes coulissantes d’un placard mural que l’on pouvait, avec beaucoup de précautions, faire glisser sans bruit aux heures chaudes de la sieste, se trouvaient nos tirelires champignons rouges, dans lesquelles nous prélevions clandestinement, mon frère et moi, quelques larges pièces de vingt francs.

J’en étais rétrospectivement à cette image, lorsque l’une de mes tantes, Antoinette, la plus jeune sœur de Maman montra son visage à la porte toujours ouverte qui donnait de la cuisine dans la cour.

- Tu ne joues pas avec les autres ?
- Non, je termine mon travail !
- Ay ce gosse !

Elle avait traversé la pièce comme une musique, et je me souviens d’avoir eu soudain ce sentiment très fort de fin de quelque chose, peut être la radio jouait-elle dans la pièce d’à côté.

Dehors Il faisait très chaud bien qu’il soit déjà plus de 18h00. Le soleil rasant entrait par la fenêtre au dessus de l’évier.

J’avançais jusqu’à la porte dont l’entrée était protégée par une marquise en tôle ondulée, et regardais comme une dernière fois la volière dite aux 21 canaris, dont même le grillage avait été peint en jaune.

J’ignorais que dans quelques mois nous allions procéder au lâcher symbolique de ces oiseaux, pour les libérer avant notre départ matinal pour Oran.

18 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (5)

Une certitude nous étreignait alors, celle qu’un jour nous aussi nous rejoindrions ce lieu de repos.
Sérigraphiée sur la pierre tombale, une photo de notre oncle Antoine tué à 20 ans près de Bitchwiller en 1945 nous rappelait, son regard juvénile toujours interrogateur, le sourcil droit froncé, qu’il était vain de vouloir imaginer choisir le jour et l’heure de ce moment.

Un été de l’année 1959, mon père et son jeune frère Melchior, entreprirent la rénovation du caveau familial.
Le calendrier moins chargé de l’entreprise de maçonnerie paternelle, les « événements » empêchant d’accepter des chantiers éloignés rendus dangereux par les distances à parcourir sur des routes désertes, rendaient enfin possible la réalisation de ces travaux longtemps différés.
Avec mon frère et plusieurs de mes cousins, nous avions été requis pour participer à cette noble tâche ce qui nous enchantait à l’avance.
Le projet ambitieux d’une croix en béton décorée de faïences brisées du plus bel effet, constituait le clou de cette rénovation.
Macabre pour certains, cette préoccupation d’entretien de la maison de nos morts en 1959 témoignait d’un bel optimisme, ou du moins d’une volonté avérée de braver les augures.

Mon oncle Melchior avait rempli d’eau un fut métallique dans lequel je devais laver les faïences récupérées pour en enlever les fragments de ciment.
Sur un madrier de bois, je devais ensuite briser chaque carreau avec un marteau pour, selon les conseils avisés de mon oncle, obtenir des morceaux capable de s’insérer dans l’œuvre en cours de réalisation.
Il avait lui même réalisé un coffrage de bois à même le sol et coulé le ciment sur les ferrailles constituant l’ossature de la croix.

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA

J'habitais depuis près de huit ans dans ce village lorsque je pris conscience de sa réalité.
La chaleur et la rectitude des rues plates sous le sable et le soleil sont les deux choses qui reviennent pour illustrer cette découverte rétrospective.
D'une place carrelée, des rues partaient en étoile, le centre autour duquel s'organisaient la mairie et l'église en était un kiosque à musique.
Au bout de chacune de ces rues, en fait de grands chemins sans limites réelles, la campagne déserte de montagnes pelées et de cyprès géants s'imposait au regard du voyageur curieux
Une allée de cyprès évidente au premier coup d’œil, conduisait au cimetière, un village grandiose de morts vivants dans le marbre et le ciment, un lieu qui resterait l’unique attache de notre famille à ce village désormais perdu.

Au delà d'une dépression ridicule que nous appelions par dérision la vallée de la mort, il fallait marcher quelques minutes pour se retrouver dans le lit véritable de l'oued qui avait été émasculé et ramené a la dimension de gué dans la traversée du village.

A l'opposé sur le chemin de la « remonte » qui conduisait à la nouvelle école, il fallait emprunter, l’hiver, le piège d’un escalier boueux, taillé à même la glaise, pour atteindre la limite civilisée de l’ancien Aïn-El-Arba, pour atteindre les nouveaux quartiers et l’école ultra moderne.

D'immenses places toujours vides coupaient de loin en loin les lieux essentiels de mon village. Ces grandes taches blanches sous le soleil et le ciel bleu violet, solitudes des heures de sieste, sensation perpétuelle de vacances, donnaient au cadre de vie que je venais de découvrir, alors que j’allais le quitter, le goût amer du paradis perdu.

La maison familiale proche de l’Oued, offrait des lieux plus secrets, et se superposait comme un refuge ou une fuite à ceux de l’extérieur.

LE MAGNETOPHONE DE JANY

Nous tournions notre ennui entre le 4 et le 22 de la rue Gustave Eiffel, au cours d'un de ces célébres étés pourris de 1966 et 1967.
Nous avions tout d'abord, découvert cette formidable invention du langage français, "été pourri", ce qui pour nous qui n'avions connu que de véritables étés semblait une sorte de farce énorme, comme le riz blanc pour le mangeur de paella ou le vin à l'apéritif pour un buveur d'anisette.
Ce qui caractérisait ces étés pourris, est que le Ministère de l'ORTF, il n'y avait qu'une seule chaine de TV à l'époque, attendait les prévisions de Météo France pour l'après midi et décidait alors, en cas de pluie, et pour éviter que les jeunes désoeuvrés des cités, ne passe leur temps dans les cages d'escalier à commettre on ne sait quels délits, de diffuser à 15h00, un film inédit pour édifier notre sens moral et notre culture.
Ces films restent des références , du style "le jour où la terre s'arrêta", "la guerre des deux mondes", "la créature de l'espace" et autres chefs d'oeuvre de la culture américaine, ce qui semble aujourd'hui un véritable paradoxe pour un gouvernement dont le Président n'était autre que le Général de Gaulle, et le Premier Minstre un certain Michel Debré.
Forts de cet exemple, au cours de ces étés pourris, nous avions inventé une activité créatrice grace au magnétophone à bande que notre cousine Jany avait reçu à l'occasion de sa réussite au BEPC.
C'était une grande première à l'époque, de disposer de cet appareil magique qui permettait d'enregistrer sa voix.
Passés les premiers jeux à enregistrer en cachette la voix des autres et à leur repasser jusqu'à l'ennui, nous en étions arrivé, après plusieurs après midi de tatonnements, à de véritables séances d'enregistrement.
Munis des derniers numéros de salut les copains, qui publiait chaque semaine les paroles des tubes en vogue, les chou-chous de la semaine, nous nous affutions à produire le meilleur de nos talents de chanteur sur les bandes qui tournaient à l'envie.
Je me souvient de Jany qui s'époumonait sur les traces de Johnny "dans la vallée de l'Oklahoma, un coup de fusil fait mouche à toutes les fois, mais attention un jour tu finiras dans la poussière les bras en croix...tu triches au jeu et dans le pays...."
Damien mon fère, dans un registre tout à fait particulier, avait choisi Bobby Lapointe et sa Julie Bonbon c'est bon c'est bon.....elle servait le champagne chez M Taittinger...
Je passerais sur la performance de Monique, alors fan inconditionnelle de Marie Laforet, qui nous faisait frisonner avec les vendanges de l'amour.
Affranchis du micro, et sous la houlette du Prince, de passage pour des vacances, nous nous étions lancés dans des réalisations plus ambitieuses, notamment une pièce qui se déroulait à Paris, dans un club mal famé où l'on buvait du Costières du Gard avec Gigi et Lulu de Paname et Albert Tutucelli dit la Fontaine à Prunaux.
heureux étés pourris de la France des années 1960 juste un peu avant mai 1968.

LE SOUVENIR DES VIVANTS (4)

Ce qui frappait tout d’abord dans ce vaste paysage à la luminosité violente marquée par le bleu profond du ciel et le jaune aride des terres alentours, était l’émergence de ce champ des morts aux monuments de pierre d’un gris antique rehaussé par le vert somptueux de cyprès géants et clôturé par un mur d’enceinte dont le seul accès était une haute grille de fer dont la rouille s’estompe dans mes souvenirs.
C’est comme si le contraste marquait la volonté des bâtisseurs du village de faire de cet endroit un espace réservé qui rappela encore davantage le lien avec la civilisation de ceux qui y étaient inhumés.
Ceux la même dont les origines étaient diverses, qui pour la plupart avaient fui leur pays pour bâtir dans un monde neuf, une réalité économique et sociale empreinte des valeurs perdues de la métropole lointaine, avaient gagnés à leur mort le droit de reposer dans un cimetière reconnaissant par son architecture et son organisation qu’ils avaient contribué par leur action à la construction d’une société multi-raciale appelée à disparaître par cette force des choses appelée progrès.

D’où qu’il se tint dans les allées du cimetière, le visiteur pouvait embrasser du regard la totalité des monuments funéraires, et au-delà de la muraille d’enceinte par delà les cyprès ses yeux se portaient vers l’horizon lointain, en suivant les lignes vertes de la vigne qui semblait s’étendre en courbe vers un point de fuite inconnu, la bas dans la fusion du ciel et de la terre.
La vanité de sa situation lui apparaîssait alors, lui le vivant seul au milieu des disparus, cherchant un sens à sa présence passagère ici bas, un but différent de la fin qui l’amènerait un jour, inéluctablement, à rejoindre ceux qu’il dominait pour le moment, de sa station debout.Nous-mêmes, enfants, nous étions très au fait de la composition de ce lieu, nous n’ignorions pas que le monument de l’allée centrale, celui qui se détachait de tous les autres par sa hauteur, celui qui était entouré de cyprès abritaient les dépouilles de tous les prêtres qui avaient exercé leur sacerdoce au village.
Nous savions que la bas dans l’allée qui bordait la partie sud du mur d’enceinte reposait Camille, un jeune enfant de douze ans emporté par la leucémie, dont la photo sépia nous souriait sur la pierre tombale.
Plus loin encore, derrière un cyprès majestueux, une tombe nous attirait plus que les autres.
Là sous la terre, deux jeunes filles, disparues un dimanche après midi dans des conditions non élucidées, et retrouvées mortes, reposaient à tous jamais.
L’origine ethnique, quasi tribale de ce crime que nous qualifiions d’odieux, s’imposait insidieusement dans les esprits, tache noire, maculant même, les raisonnements les plus sensés, et qui un jour allait s’imposer comme la norme de pensée.
Certains dimanches après midi nous ramassions les fruits de cyprès sous la houlette de notre tante Lucia pour en faire des décoctions et nous jouions souvent a les utiliser comme des projectiles dont la dureté se revelait plus meurtrière encore sous la chaleur, lorsqu`ils atteignaient un œil ou une joue.
De notre caveau familial nous connaissions parfaitement les occupants et les dispositions. Nous savions que là, reposait notre frère mort né dont l’inscription en cursive sur le livret de famille nous fascinait.
Nous aimions à consulter, clandestinement, ce document officiel, preuve de notre existence administrative, mais aussi pour nous assurer de la réalité de cette expression mort-né écrite patiemment à la plume par quelque employé d’état civil particulièrement zélé.

05 mars 2006

OUAFYA : UNE NOUNOU D'ENFER

Ouafya, la fille de Bachir, habitait avec sa famille en face de notre maison, de l'autre côté de l'oued qui traversait le village, vers la remonte. Cet Oued avait été canalisé par un magnifique ouvrage en béton qui lui donnait une fière allure de canal.
Mon cousin Vincent, instituteur au village, commentait avec son fort accent et sa gouaille pied noir caractéristique, l'ouvrage en moquant le maire Victori, sur le ton, il nous a fait le Rhone, avec ces murs en béton.
Ouafya, nous gardait dans la journée, alors que nos parents travaillaient, elle était un peu notre jeune mère, notre compagne de jeu, notre grande soeur. Plus tard, elle épousa Bouhadjar, une sorte de Kabyle Rock and Roll, dont nous eumes des nouvelles vers 1982 alors que beaucoup d'Algériens lassés de la dé-colonisation cherchaient à renouer contact avec leurs anciens oppresseurs.
La voix de Ouafya, chantant des mélopées étranges alors que nous résistions au sommeil de la sieste obligatoire de l'après midi, reste un souvenir obsédant des jours de grande chaleur, lorsque le ticouk nous reprend, même ici en France !