01 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (6)

Ces deux journées qui avaient apporté leur lot de surprises et d’événements nouveaux apparaissent maintenant comme une sorte de répétition pour nous préparer au véritable départ.

Au fond, nous vivions, je parle pour moi, des choses que seul mon père, je le comprends mieux maintenant, avait connu lui dès son plus jeune âge.
Cela explique sa façon de tout relativiser et de paraître parfaitement à l’aise en toute circonstances.

Il me plaisait alors à penser qu’à l’age de 10 ans et 40 ans après mon père je vivais, dans des conditions somme toute moins dramatiques pour moi, une exode semblable à celle qui l’avait amené en 1922 à quitter l’Espagne pour l’Algérie, il avait alors 15 ans.

De ce voyage fantastique, je garde le souvenir très fort d’un groupe hétéroclite, conduit par un homme sûr de lui, jamais découragé, toujours prêt à penser qu’il existe une solution aux difficultés et capable de la trouver.
Les événements suivants permettront de le démontrer.

Notre groupe se retrouvait maintenant seul, plus d’aronde du curé, plus de tonton François pour faire du morse dans les rues d’Oran, plus de voisine venant rapporter une clef anglaise, plus rien de tout cela, mais en perspective le port, le bateau et la bas la France.

L’arrivée au port dans la zone d’embarcation constitua notre première surprise, des centaines de personnes attendaient, toutes munies d’un billet.

En dépit de la présence de l’armée pour organiser les files d’attente et rendre possible l’embarquement, la foule d’abord bon enfant se transformait au fil des heures en une foule beaucoup moins pacifique où la solidarité ne jouait plus, chacun essayant de faire en sorte de trouver une solution pour passer à tout prix et se retrouver sur la passerelle d’un bateau en partance.

Nous étions tous autour de mon père, mon oncle Joseph toujours prompt à la critique et prêt à déclencher une joute verbale avec ses voisins immédiats, M Cabedo enchaînant ses calembours incompréhensibles un tiers de valencien, un tiers d’ espagnol un tiers de français, ne recueillait guère plus de succès, ma tante qui essayait de les faire taire, et nous les enfants les yeux grands ouverts, ébahis par ce spectacle inattendu.

Près de nous, une mère de famille et ses deux enfants s’étaient peu à peu rapprochée et tentait de lier une conversation avec mon père.
Comme moi, elle devait être impressionné par le calme et la dignité dont faisait preuve cet homme dans un foule particulièrement agité.

Son mari était mort et elle se retrouvait seule à partir.
Ses deux enfants étaient dans nos âges, et nous commencions à échanger des considérations sur nos villages d’origine respectifs, notre école, nos vacances sans penser à la perspective dans laquelle nous étions de devoir perdre tout cela.

Mon oncle Joseph, ses papiers à la main commençait à s’impatienter sérieusement et devenait de plus en plus colérique tirant nerveusement sur sa cigarette.

La foule piétinait toujours dans l’attente de la délivrance d’informations qui lui permettrait de s’orienter vers un quai et un bateau, alors que depuis le matin, et pour certains depuis plusieurs jours les candidats à l’embarcation attendaient avec une exaspération qui avait succédé au désespoir.

Ente temps, il avait été confirmé que le « Ville de Marseille » nous conduirait en France était et nous connaissions également le N° de notre embarcadère.

Vers la fin de l’après midi, nous pûmes enfin pénétrer dans le vaste hall ou l’embarquement était organisé, pour découvrir que finalement nous allions être obligés de dormir sur place avant de pouvoir monter sur notre bateau.

Des lits étaient disposés en rangées serrées comme dans un immense dortoir destiné à accueillir les milliers de voyageurs forcés qui allaient malgré eux passer leur première nuit d’exil, mais la dernière dans leur pays, la plus douce présumaient ils.

Des plaisanteries fusaient de toute part, et le summum de l’hilarité fut atteint lorsque les résidents du dortoir déjà couché s’aperçurent que personne n’avait songé à éteindre la lumière.

Vaillamment, sous les huées, les rires, et les applaudissements, un volontaire se leva pour faire le noir.

Cet homme s’était déjà illustré tout au long de la journée par ses plaisanteries et ses bons mots qui fusaient sans arrêt derrière ses lunettes et son tricot de peau blanc, il était devenu l’histrion dont la communauté avait besoin dans ces moments difficiles.

Son retour dans le noir vers sa famille fut encore pour lui l’occasion de briller dans son rôle improvisé.

Chemin faisant, il devait s’ingénier à frôler les visages et les corps allongés, provoquant des gloussements ou des cris effarouchés chez les femmes et des grognements pas toujours amicaux chez les hommes peu enclins à se prêter à ces nouvelles facéties de notre boute en train commis d’office.

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