19 mai 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-ELARBA (8)


Mathilde venait à nous, porteuse de nouvelles fraîches de Jean son futur mari, mon frère aîné, contraint de terminer son service militaire dans l’Ouarsenis à Teniet El Hadj loin de la maison.

Le premier téléphone que j’avais eu l’occasion de voir en service était celui des parents de Mathilde, dans la petite pièce toujours close qui servait de bureau, et dans laquelle ma prochaine belle-sœur me recevait souvent après l’école pour surveiller mes devoirs scolaires.

Combien de temps ai-je passé dans cette pièce, où le plus souvent seul, une fois mes exercices terminés, je rêvassais laissant mon esprit vagabonder au fil de mes idées, pour attendre l’heure du retour vers la maison.

A droite dans une commode ancienne; il y avait un tiroir rempli de farces et attrapes, faux verre à moutarde dans lequel un ressort couvert de tissu rouge sautait au nez de l’amateur invétéré qui s’aventurait à l’ouvrir, fausses dents énormes et autres accessoires que la mère de Mathilde utilisait fréquemment pour faire peur aux mauresques du voisinage.

De temps à autre, dans cette lenteur des heures de la fin d’après midi différentes personnes pouvaient ouvrir la porte et jeter un œil dans la pièce, pour pensais je alors, vérifier que j’étais toujours là et que j’effectuais bien mon travail scolaire.

Quelquefois, Mathilde venait pour tenter de joindre mon frère Jean au téléphone, et je restais près d’elle attentif et immobile, écoutant les différents bruits caractéristiques des lignes qui se connectaient, les rires étouffées ou les paroles d’impatience d’opératrices qui semblaient dépassées par les demandes multiples de connexions toutes plus difficiles à obtenir les unes que les autres.

L’exaspération était à son comble lorsque la communication enfin obtenue, l’échange devait se limiter à quelques mots le plus souvent entrecoupés d’interventions incontrôlables d’étrangers sur la ligne, dont on pouvait penser qu’ils épiaient les paroles pudiques et retenues de ceux que les circonstances éloignaient.

Mon sommeil de premier exil fut accompagné de ces souvenirs me ramenant vers celles qui étaient restées. Bercé par ces pensées nostalgiques mais heureuses je m’endormis enfin dans les hangars du port d’Oran aménagé en immenses dortoirs.

Les rêves de cette nuit furent tout aussi heureux, je restais sur cette nuit d’orage emporté par les dialogues chuchotés de Maman et Mathilde, et les approbations bruyantes de Tcha Tche.

Les murs du bureau s’effacèrent doucement dans le sommeil, laissant flotter un moment le carillon au dessus du bureau, les livres de la collection vert et or du cosy, la cheminée éteinte, et les couleurs du tapis marocain de la petite table où nous étions réunis dans cette nuit de crainte et d’espoir.

Bizarrement, ce mélange de littérature et de réalité me plongea dans les illustrations de cette édition ancienne de David Copperfield que j’avais découvert un jour dans un débarras chez ma tante Lucia.

Le bateau de Pegotty, au bord de la manche me servit un moment de refuge, et je rêvais du jeune David confronté, comme moi je l’étais, à des personnes et des choses auxquelles il n’avait pas eu le temps de se préparer.

Pegotty se transformait en Lucia à la colonie du curé, veillant à nos jeux sur la plage un œil sur le repas qu’elle avait amoureusement préparé, tandis que le curé lui même nous initiait aux subtilités du cerf volant face à la mer.

Le réveil fut moins agréable.

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