03 avril 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (7)

C’est en 1961 je crois, que notre maison accueillait la dépouille d’un autre oncle, Raymond, emporté par la maladie, le mari d’une sœur de ma mère à laquelle nous étions très attachés.
La conduite que je devais adopter face à mes cousins touchés par un événement dont la possible survenance restait pour moi l’une des plus grandes terreurs reste le souvenir le plus frappant de cet événement.

Pour éviter de mobiliser un lit occupé par un vivant, la salle à manger des jours de fête et de liesse avait été dressée en salon funéraire, je me souviens du soleil éclatant de ce jour là.
Mon grand oncle Melchior avait été réquisitionné pour déménager les meubles afin de pouvoir installer le cercueil face à la porte de cérémonie, une double porte battante souvent condamnée qui donnait dans le couloir de l’entrée principale.

Mes plus jeunes cousines âgées de deux et trois ans semblaient toujours marquer un temps d’arrêt devant cette porte bien longtemps après l’événement, qui leur avait été présenté comme un voyage chez tata Denise pour adoucir la cruauté de la nouvelle.

La plus jeune, lorsqu’elle pénétrait dans la pièce et qu’elle y voyait une salle à manger, marquait une pause et semblait toujours chercher le lit dont elle avait conservé l’image dans son souvenir comme si cela n’avait été qu’un rêve troublant dont elle cherchait à effacer les traces.

Nous étions maintenant en France depuis huit ans, soit onze ans après la rénovation du caveau familial et l’épisode de la croix de béton aux angles brisés.
L’année où nous obtenions une photo, je ne sais par quels moyens, de notre caveau abandonné, mon oncle Melchior co-auteur de cet ouvrage nous quittait.
Sa santé fragile, mais aussi la pénibilité de son métier, avaient eu raison de lui.
Il souffrait de dysfonctionnements rénaux graves, sur l’origine desquels plusieurs médecins s’étaient penchés.
Longtemps, j’ai cru que cette maladie pourrait m’atteindre et l’annonce de sa mort avait provoqué un grand trouble chez moi comme si elle avait constitué un avertissement divin.
L’une des causes supposée de l’infection rénale de Melchior était la propension lorsqu’il était jeune à multiplier les incidents bronchitiques.
Cela avait pour conséquence selon notre médecin de famille l’ingestion de mucosités qui avaient entraîné des infections rénales irréversibles.

Je me souviens de ce matin triste de février 1970, un mercredi ou un jeudi, car je n’avais pas classe. Une fois la funeste nouvelle connue, ma mère m’avait enjoint de prendre mon vélo et d’aller avertir mon père qui travaillait sur le chantier du stade du Moulon à quelques centaines de mètres de la maison.

La vieille 2CV camionnette grise dans laquelle il s’était réfugié pour son casse croûte, grandissait à mesure que je m’en approchais, j’hésitais à venir à hauteur de la vitre, à me pencher pour lui demander d’ouvrir et finalement le voir son sandwich à la main, les joues gonflées par une trop grande bouchée, me dire d’une voix enrouée par l’émotion, il est mort ? avant que je n’ai pu prononcer un seul mot.

Cette année 1970 marquait une rupture. Etait ce l’annonce de la mort de mon oncle de 44 ans, la crainte d’atteindre cet âge mythique de 18 ans, la perspective du bac ?
je ne puis encore le dire aujourd’hui.

Je mesurais alors, la distance qui me séparait l’enfant de 7 ou 8 ans assis sur le parapet de ciment du Marabout.

Ces 8 années étaient passées lentement, avaient agi sur moi à la façon des bactéries qui mystérieusement assure la maturation du vin, j’en avais savouré pleinement l'innombrable multitude de connaissances qu’elles m’avaient apportées sur la vie.

J’avais été un enfant plein d’espoir, imaginatif et tourné vers l’avenir, qui imaginait sans cesse l’an 2000, cette année au cours de laquelle il atteindrait l’âge de 48 ans.

Parvenu à l’âge de 18 ans, soit 30 ans exactement avant cette année 2000 que j’appelais de mes vœux, je commençais à douter du sens de la vie.


1 commentaire:

Maryl. Demoerloose a dit…

j'avais été une enfant pleine d'espoirs ,imaginative ,tournée vers l'avenir qui aurait pensé que tu aurais fait place à d'autre à cinquante quatre ans .Pauline et mary te remercient.