22 mars 2006

LE SOUVENIR DES VIVANTS (6)

Pour assurer la solidité de l’ensemble, les angles droits de la croix avaient été brisés ce qui allait conférer à l’ouvrage une spécificité que les exégètes familiaux qualifieraient plus tard de profondément mystique.

Des années après ces événements, je m’interroge sur l’enthousiasme mâtiné d’abnégation dont ils avaient témoigné pour fabriquer cette croix dont des photos prises en 1970 témoignent à la fois de la solidité et certainement du respect interrogatif que la construction aux angles brisés avaient du susciter chez les pilleurs de tombes.

Un autre personnage hante sans cesse ces visites au cimetière, ma tante Lucia, veuve de son mari Eugène, frappée par la naissance d’une fille handicapée, Marie-Rose, disparue après quelques années de vie seulement.
Il était fréquent que je l’accompagne dans ce que je considérais comme des promenades tant ces quelques minutes d’intimité avec elle le long du chemin qui menait du village au cimetière, nous permettaient d’évoquer, comme deux vieux amis, les souvenirs familiaux qui nous étaient communs.
C’est notamment au cours de ces échanges qu’elle évoquait l’enfance de mon père après la disparition de sa mère naturelle, et les brimades que la Tia Rosa, la Tcha tcha Rosa, leur imposait.
Elle, la petite, s’interposait souvent pour, par son attitude bravache, attirer les colères de la nouvelle femme de mon grand père et ainsi en mettre à l’abri le petit José, pourtant de trois ans son aîné, qu’elle considérait comme fragile.
Elle nous comparait souvent, nous ses neveux, qu’elle adorait véritablement, à notre père enfant, des êtres trop bons et trop idéalistes pour être livrés à eux mêmes dans une société hostile par nature.
Cette femme, toujours prête à rire, toujours prête à donner, insouciante au possible, avait trouvé après les malheurs qui l’avaient meurtris, un moyen de résister, être proche des enfants au point de leur ressembler.

Sa maison, lieu magique pour nous, recelait des merveilles dont nous ne nous lassions jamais.
Des dizaines de globes neigeux que nous passions des après midi entières à tourner et retourner, le fameux ivrogne (nous disions le soulard), métallique, auquel nous faisions largement ouvrir la gueule lorsque nous présentions le verre de rouge aimanté dans le bon sens, ou tourner des talons lorsque le verre se présentait dans le mauvais sens.

Aucun commentaire: