08 septembre 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (15)

En fait de réconfort, une surprise de taille nous attendait à notre descente du train en gare de Bourges.
A peine étions nous descendus que nous entendions, derrière nous, une voix nous interpeller.

Il s’agissait de ma tante Antoinette, qui revenait d’accompagner mon frère Sébastien à Besançon chez mon Oncle Manuel.

Sébastien, déjà en France avec mon cousin Christian, devait passer son bac avec une option Arabe, possibilité qu’offrait l’académie de Besançon.

Antoinette, était monté dans notre train en gare de Lyon Perrache. Nous étions tous émerveillées de cette coïncidence qui nous avait fait voyager ensemble sans jamais nous croiser dans le même train.

En femme énergique qu’elle était elle nous fit sortir de la gare pour héler un taxi et lui lancer :

- 2 Rue du Chambir

Je mesure rétrospectivement les difficultés d’oreille et de prononciation que nous allions éprouver, francophones non natifs que nous étions, pour communiquer.

En arrivant à la cité du Beugnon, je constatais effectivement en voyant la plaque de la rue, qu’il s’agissait de la rue du Champ Dur et non de la rue du Chambir.

C’est la première fois que j’allais habiter dans une tour HLM, dans une ville, loin de la nature telle que nous la connaissions autour de la maison d’Aïn-El-Arba.

L’entrée de l’immeuble était impressionnante de propreté et de neuf, avec sa rangée de boites aux lettres sur la gauche, et surtout l’ascenseur et les locaux des vide-ordures à chaque palier ouverts sur l’extérieur.

L’appartement bien orienté avec des ouvertures à l’est et à l’ouest comportait une vaste couloir, une cuisine et 3 chambres dont l’une était en fait le salon ouvert sur la salle à manger.

Très vite la vie s’était organisé pour gérer le quotidien de pas moins de 14 personnes auxquelles devaient s’ajouter Tcha Tche Denise et Mathilde dans le courant du mois de juin, puis Régine Melchior et leurs enfants Antoine, Alain, Lucien, Eric en juillet.

A ces occupants en titre il fallait également ajouter les visiteurs occasionnels :
- Roger le mari de ma cousine Marie-josé qui travaillait dans une banque de la région parisienne.
- Les cousins qui avaient déjà un travail et résidaient dans un foyer de jeunes travailleurs rue Joyeuse à Bourges. Eugène le frère aîné de Christian et Auguste le cousin du père de ma tante Régine mariée à Melchior le frère de mon père, celui qui était resté à Aïn-El-Arba pour essayer de maintenir l’entreprise paternelle et la maison en état de marche.

La référence aux occupants occasionnels m’amène tout naturellement à relater deux anecdotes les concernant.

Ces anecdotes, qui se sont bien terminées montrent notamment quelle était l’appréhension des autorités de l’époque pour ces pieds noirs tous soupçonnés de sympathie pour l’OAS et considérés comme autant d’agitateurs à sa solde

Mon frère Sébastien, mes cousins Christian et Eugène, notre cousin Auguste étaient les premiers pieds noirs arrivés à Bourges.
A ce titre, comme le prévoyait les mesures destinées à étudier de futurs dossiers d’indemnisation ils s’étaient fait enregistrer à la Préfecture du Cher.

Le hasard avait voulu que quelques jours après, des graffitis OAS VAINCRA ! avaient couverts des murs de la ville.

Ils avaient été convoqués au commissariat de la ville et Sébastien nous racontait inlassablement, toujours avec autant de succès devant le public que nous formions, comment le commissaire après avoir établi les liens de parenté entre chacun, avait hésité pour situer Auguste dans cette parentèle.

Prenant Sébastien comme centre du groupe il avait tracé un organigramme au tableau en énonçant, lui, sa tante le père de sa tante le cousin du père de sa tante, et s’exclamait fier de sa démonstration :

- je vois ! je vois !

Cette histoire réjouissais nos soirées au 2 rue du Champ Dur et Auguste est désormais resté dans la famille comme le cousin du père de notre tante Régine.

L’autre histoire concerne Roger le mari de ma cousine Marie-Josée, qui comme je l’ai dit travaillait dans une banque à Livry Gargan dans la région parisienne.

Cette agence fut un jour cambriolée et Roger tenu en joue quelques temps par les gangsters avaient eu le temps d’observer les armes qu’ils possédaient et s’en étaient ouvert aux policiers lors de l’interrogatoire.

Mal lui en prit, car loin d’être satisfaits des précieux renseignements qu’il leur apportait, les agents commencèrent à l’interroger sur l’origine de sa connaissance aussi fine des armes de poing.

Renseignements pris, sur ses périodes militaires et son parcours professionnel, il fut mis hors de cause après avoir passé quelques heures en compagnie des policiers suspicieux.

Ce qui reste toutefois de ces quelques semaines passées au Beugnon, c’est la fantastique phénomène d’acculturation que nous autres pieds noirs nous avons connue de façon très brutale.
J’ai l’habitude de considérer que ce furent les semaines les plus longues et les plus passionnantes de mon existence, tant les choses nouvelles et les découvertes se succédaient à un rythme quasi quotidien.

La ville de Bourges elle même constituait la première curiosité notamment la cathédrale et les rues avoisinantes.

J’étais fasciné par ce livre d’histoire vivant qui me ramenait à ce que nos instituteurs nous avaient appris de la France, notamment à l’aide de ces planches dessinées représentant des scènes telles le village gaulois, ou la France romane.

Certes nos ancêtres n’étaient pas Gaulois, et n’avaient pas participé à la saga des bâtisseurs de cathédrale, mais il n’empêche que nous étions là maintenant chez nous dans cette ville de Bourges en tout point identique à ces images patiemment présentées par nos enseignants.

Mon frère et mes cousins, passions beaucoup de temps à nous promener autour de la cathédrale et au jardin de l’archevêché dans lequel un kiosque à musique nous rappelait celui que nous avions abandonné à Aïn-El-Arba.

Etait ce du à la période des vacances d’été, à la foule de touristes, notamment anglais, qui sillonnaient la ville, nous retrouvions quelque part une ambiance proche de celle dans laquelle nous vivions.

Les concerts du soir dans le kiosque, une foule bon enfant, les marchands de glace, des symboles connus de nous, confirmaient cette impression.

Notre découverte de la ville avait été facilitée par la bonté d’une famille berruyère, celle du colonel D, qui avait mis à notre disposition sa maison de la rue Louis Pauliat que sa famille n’occupait pas pendant les vacances scolaires.

C’était tous les soirs à qui se battait le mieux pour obtenir d’aller coucher rue Louis Pauliat sachant qu’il y aurait à la clef une promenade dans la vieille ville et le spectacle sans cesse renouvelé des chalands.

Nous étions maintenant regroupés rue du champ dur, et les perspectives de vie de la famille à Bourges s’organisaient.

Cela constituait la deuxième curiosité, la collectivité que nous formions par la force des choses, une collectivité où tout était débattu, et où même les enfants étaient aussi au courant des projets et des difficultés qui les sous tendaient.

La recherche de logements pour chacune des familles s’avérait quelque chose de plus difficile, car hormis les ressources limitées de la vieille ville, il fallut attendre la disponibilité du quartier Nord de la ville « la chancellerie » qui se construisait pour accueillir tous les exodes, internes et externes.

Malgré les difficultés, la situation économique de l’époque facilita grandement notre intégration, mais j’y reviendrais par la suite.

Les retrouvailles de la famille, et le fait de savoir aucun d’entres nous n’avait subi de dommages autres que matériels du fait « des événements » étaient une source de satisfaction et de joie intense, certainement comparable à celles qu’avaient connues Beatriz Rosa et Damiana lorsqu’elles avaient réussi à réunir leur famille quelque 40 ans plus tôt d’Espagne en Algérie.

Cette réunion de quelques semaine fut l’occasion de construire l’histoire de la famille, chacun évoquant les souvenirs récents de sa traversée, mais aussi par comparaison avec ce que nous vivions en France les éléments marquants de sa vie en Algérie.
Le petit appartement de la cité du Beugnon succédait à la maison d’Aïn-El-Arba comme lieu exutoire de nos angoisses et de nos espoirs.

Tata Lucia nous racontait sa traversée de la Méditerranée et l’arrivée mouvementée à Port Vendres, après une nuit fort agitée en plein cœur du golfe du lion, alors que le bateau était sensé accoster à Marseille,

Ces exclamations fortes :

- De Gaulle nos va a matar ! (De Gaulle va nous tuer !)

Résonnent encore à mes oreilles.

Maman, Mathilde et Tcha Tche partis plus tard que nous, avaient été évacués en avion par l’aéroport de la Senia à Oran.

Les scènes de ce départ, moins paisibles que celles que j’ai racontées, restent marquées par la colère de la foule vandalisant les installations dans un dernier geste de désespoir et d’impuissance.

Tata Régine et Tonton Melchorico le frère de mon père racontaient le repas municipal auquel ils avaient été conviés pour célébrer la victoire du OUI aux élections du 3 juillet 1962.

Seuls français parmi l’assistance ils assistèrent jusqu’au bout à ce repas sous surveillance militaire peu rassurés en pensant au fait qu’ils devaient à leur tour quitter le village sans bénéficier des facilités dont nous avions bénéficié en juin.

Toutes ces histoires partagées contribuèrent à cimenter notre sentiment identitaire et à nous donner la force d’exister dans cette nouvelle société qui nous accueillait et sur laquelle nous devions maintenant compter.

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