24 juillet 2006

MON SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA (12)

Le froid du matin, accentué par les vents, nous avait obligé à revêtir des vêtements plus chauds. Les voyageurs sur le pont s’étaient regroupés, comme pour mieux se protéger du froid, mais aussi, pensais je alors, pour rétablir l’équilibre du bateau qui penchait maintenant réellement d’un côté.

Les côtes de France se dessinaient dans le lointain nous faisant oublier la fureur et le froid du vent.

Enfin, nous allions être à pied d’œuvre dans le pays mythique dont nous espérions secrètement quelque chose de plus beau.

La quiétude que nous avions retrouvée au cours ces deux jours de traversée, après le bruit et la fureur de l’embarquement à Oran, s’éloignait de nous à mesure que les lignes bleues floues de la côte française se dessinait avec plus de précision.

Une foule immense nous attendait, jouant à l’envers le scénario du départ.
Dans le matin gris, j’observais une intense activité sur la port de Marseille.
Des bruits venaient jusqu’à nous de façon irrégulière, puis se faisant plus précis firent place à une clameur intense.
Elle s’élevait du quai sur lequel de minuscules silhouettes s’agitaient de façon désordonnée.

Étions nous soudain les héros tant attendus, où comme le racontait régulièrement mon père depuis lors, étions nous en but à des populations venues manifester leur désapprobation.

La légende, devenue familiale, encouragée par la geste paternelle, prétend que le Maire de Marseille, Gaston Deferre lui même, avait suggéré le slogan d’accueil :

- jetez les tous à la mer !

Mon père répétait ce slogan à l’envie, comme le symbole de notre désillusion devant l’accueil qui nous fut fait à Marseille ce 12 juin 1962.

Soutien de François Mitterrand en 1981, Gaston Deferre devenu le Ministre de l’intérieur et de la décentralisation du 1er gouvernement de gauche s’attirait toujours les quolibets paternels lorsqu’il paraissait à la télévision :

- jetez les tous à la mer !

répétait mon père moqueur, avec une sorte de sympathie ironique pour l’homme qui avait voulu le refouler.

Passé le quai, j’ai beaucoup moins de souvenirs du débarquement, nous fûmes, malgré tout, accueilli très gentiment par des bénévoles du Secours Catholique, des femmes essentiellement, qui avaient dressé dans un hall en tout point semblable à celui que nous avions laissé à Oran, des lits dans lesquels nous devions également dormir tête bêche.
Une quatrième nuit d’exode nous emporta.
Dans le demi sommeil du matin, je compris que mon père et mon oncle partaient en reconnaissance vers la gare pour identifier le quai et le train qui nous conduirait à Bourges.

Il était aux environs de 6 heures lorsque nous avons regagné un immense convoi vert sombre dans un wagon duquel nous avons trouvé le compartiment de 8 places qui nous accueillerait pour la dernière étape de notre voyage.

Nous étions désormais seuls, loin de la cohorte de nos compagnons de bateau, des immigrés ou des rapatriés que l’on n’appelait pas encore les « pieds noirs ».

L’attribution des places dans le compartiment n’avait rien laissé au hasard, mon père et mon oncle s’étant arrogées les places près de la fenêtre et des cendriers.

Je garde le souvenir précis de nos positions dans ce compartiment :

Joseph Noel Michel Marinette

José Denis Damien M Cabedo

Les deux hommes s’évertuaient à « tuer » la cartouche de cigarettes mentholées qu’ils avaient emporté pour le voyage :

- Tenemos que matarlas !

Disaient ils fréquemment.

En effet, dans l’Algérie de l’exode, les approvisionnements se faisaient difficilement et le bureau de tabac du village n’offrait plus au moment de notre départ que ces cigarettes mentholées boudées par les fumeurs.

Je me souviens parfaitement de ce détail, car j’avais été chargé d’acheter ces cigarettes, dont j’ai oublié la marque, mais dont je me rappelle parfaitement le prix de 1.02 F le paquet. Nous disions encore 102 francs.

J’allais souvent faire les courses au village avec ma mère, ou quelquefois seul.
Les commerçants du village me connaissaient bien et m’acceptaient parfois dans leurs conversations.

Ce jour là, le village était écrasé par un soleil blanc, et je m’étais arrêté ma cartouche sous le bras près d’un groupe composé de Mangana le boulanger, Victor le cafetier, Khadour le garde champêtre et quelques autres figures dont j’ai oublié les noms.

Ils m’avaient admis dans leur conversation, considérant sans doute qu’un garçon avec une cartouche de cigarettes mentholées sous le bras avait quelque part la confiance de ses parents.

Cette impression d’être avec les grands considéré comme un grand fut renforcée lorsque l’un d’entre eux me demanda :

- et vous autres, quand est ce que vous partez ?

Fier de cette question, je répondais en donnant de nombreux détails sur la stratégie familiale.
J’expliquais ma tante d’Aïn-Temouchent à Bourges, son mari décédé, les enfants à l’orphelinat de la Police, le départ avec mon oncle Joseph de Saint Denis du Sig, Tata Lucia Christian son fils et mon frère Bastien déjà sur place à Bourges.
Ils hochaient la tête m’écoutant développer mes arguments commentant mes réponses par des approbations respectueuses, s’étonnant parfois de ce choix d’une ville dont ils n’avaient jamais entendu parler.

Eux, rêvaient de Marseille, Toulouse ou d’autres villes plus méditerranéennes.

En regardant mon père et mon oncle allumer une cigarette au mégot encore brûlant de la précédente, je me rappelais ces discussions qu’avaient autorisées la cartouche de cigarettes mentholées à 1.02 F le paquet.

Tout en fumant et en déplorant le goût atrocement mentholées de leurs cigarettes, ils s’interrogeaient sur le prix et la nature du tabac qu’ils trouveraient en France.

Drôle de préoccupation pensais je, alors que nous partions vers une ville inconnue, où, hormis ma tante, nous ne savions qui ni quoi nous attendait réellement.

2 commentaires:

Maryl. Demoerloose a dit…

je te lis , c'est ainsi que j'imaginais chacuns des instants de ce lent parcours vers ma ville.vers moi tu ne le savais pas.
Marylène .

Maryl. Demoerloose a dit…

les commentaires sont devenus impossibles,tu fais le frein , je continue de lire. nos âmes se séparent ,tu le veux et tu le crois ,mais je veille et il restera toujours trente années d'amour fou . Mary.
je me laisse enlever par un autre chevalier , je voudrais le respecter autant que toi , ne rien rayer de ce que nous étions l'un pour l'autre. Mi je t'aimais vraiment plus que tout.